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Mais quoi ! dans ces quelques lignes M. Flaubert ne trouve-t-il pas le moyen de nous apprendre « que le chapeau était tout rongé de vermine ? » D’ailleurs, comme toujours, le récit va tourner à la caricature. Félicité, pour satisfaire son besoin de dévoûment, donne à boire aux soldats qui traversent la ville, elle soigne les cholériques, elle « protège les Polonais, » elle panse le père Golmiche, « un vieillard passant pour avoir fait des horreurs en 93, » jusqu’au jour où cette grande ardeur d’aimer se concentre enfin tout entière sur un perroquet qu’on lui donne. Dans une nouvelle de quatre-vingt-huit pages, les aventures du perroquet n’en occupent pas moins d’une douzaine, depuis son entrée dans la maison jusqu’à sa mort et son empaillement. C’était bien peu ; aussi tient-il encore plus de place empaillé que vivant. « Les vers le dévorent, une de ses ailes se casse, l’étoupe lui sort du ventre, » il n’en est pas moins la dernière affection de Félicité. Elle trouve à son corps d’émeraude, à ses ailes de pourpre, une vague ressemblance avec l’image du Saint-Esprit. Sa dernière pensée de vieille fille est pour « Loulou, » et quand elle expire par un beau jour d’été, un jour de procession, humant sur son lit de mort les parfums de l’encens avec « une sensualité mystique, » elle croit voir « dans les cieux entr’ouverts un gigantesque perroquet planant au-dessus de sa tête. » C’est sur ce mot que finit un Cœur simple ; des trois nouvelles, c’est de beaucoup la meilleure.

La Légende de saint Julien l’Hospitalier nous transporte au moyen âge. Elle mérite bien d’être analysée tout au long. Il manquait un vitrail à la collection réaliste, quelque chose de très laid et de très gothique.

Dans un vieux château, sur la pente d’une colline, habitent le père et la mère de Julien. A force de prier Dieu, un fils leur est venu, que de mystérieuses prédictions ont promis à de hautes et pieuses destinées. Sa mère l’élève donc dans la crainte du Seigneur, et son père dans le métier des armes, chacun nourrissant l’espoir intérieur de voir un jour l’enfant archevêque ou capitaine. Or Julien a le goût du sang : sa première victime est une souris blanche, puis ce sont les oisillons du jardin et les pigeons du colombier. En grandissant, il devient chasseur ; il apprend à reconnaître « le cerf à ses fumées, le renard à ses empreintes, le loup à ses déchaussures ; » plaisirs faciles d’ailleurs, qui ne lui suffisent pas longtemps, et le voilà battant les bois, « tuant des ours à coups de couteau, des taureaux avec la hache, des sangliers avec l’épieu. » Enfin un matin d’hiver, dans une forêt fantastique, et depuis les premières lueurs du jour assouvissant sa soif de sang et sa rage de tuerie, comme adossé contre un arbre, il contemple « d’un œil béant l’énormité du massacre, » un cerf se présente, suivi d’une biche et d’un faon. Julien bande son arbalète, abat le faon, la biche, et vise au cerf, qu’il atteint en plein front. Mais cet animal surprenant, « solennel