Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/685

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

romaine. Quand par hasard, pour une cause ou une autre, une image manquait, la foule la cherchait des yeux. Ainsi, lorsque César, aux funérailles de sa tante Julie, qui avait été la femme de Marias, eut la hardiesse de faire reparaître l’image proscrite du grand proscrit, qu’on n’avait plus revue depuis la victoire de Sylla, on battit des mains, on applaudit le jeune audacieux « d’avoir en quelque sorte ramené des enfers les honneurs de Marius en la ville de Rome après un si long temps qu’on les avait tenus ensevelis. » Sous le règne de Tibère, aux obsèques de Junie, femme de Cassius-et sœur de Brutus, parmi les nombreuses images de vingt familles illustres, le peuple sut bien remarquer l’absence des deux meurtriers de César, ce qui fait dire à Tacite « qu’ils brillaient entre tous par cela même qu’on ne les voyait pas. » Ces grands spectacles n’étaient donc pas perdus même pour le peuple. C’est ici le moment de remarquer avec quel sûr instinct de sa grandeur future Rome a tenu de bonne heure à faire connaître aux citoyens sa propre histoire. En un temps où l’écriture était à peine connue, ou du moins n’était pas vulgaire, les grands pontifes étaient déjà chargés d’inscrire sur un tableau blanc les principaux événemens de l’année et d’exposer ces annales dans leur maison ouverte, « pour que le public, dit Cicéron, pût toujours les consulter, potestas ut esset populo cognoscendi. » Avec les mêmes sentimens, les nobles familles laissaient voir dans la partie la plus accessible de leur demeure les bustes de leurs membres célèbres avec une instructive légende historique. Ensuite, qu’étaient les oraisons funèbres, sinon des biographies et des fragmens d’histoire romaine ? Enfin ce cortège des ancêtres n’était-il pas en chair et en os une parlante évocation du passé ? C’étaient là de belles institutions civiques en un temps où il n’y avait pas de livres. L’idée morale et patriotique y domine ; on pensait que, pour produire des héros, le plus sûr moyen est de mettre l’héroïsme des pères sous les yeux des enfans ; on le pensait et on le disait expressément, selon Valère Maxime : « Si on place à l’entrée des maisons les images des ancêtres avec leurs titres, c’est pour avertir les descendans, non-seulement de lire, mais d’imiter les vertus. » Que dans ce dessein les Romains aient parfois trop embelli leurs annales, qu’ils y aient glissé de glorieux mensonges, cela ne peut étonner chez un peuple qui mettait le patriotisme bien au-dessus de la vérité. Peut-être aujourd’hui sommes-nous tombés dans un excès contraire.

Sous prétexte de vérité stricte, nous avons trouvé un savant plaisir à diminuer nos gloires, allant, nous aussi, jusqu’à l’hyperbole, mais en sens inverse, à l’hyperbole du mépris ; en vers, en prose, dans les livres, sur le théâtre, nous avons déchiré nos grands