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Dans toutes ces chansons, les résultats de l’absence sont presque toujours tragiques. La jeune fille oublie son amoureux ou bien l’amoureux devient infidèle, et l’amoureuse, qui est montée dans sa plus haute chambre pour voir venir de loin les messagers qu’elle a envoyés à son ami, apprend tout à coup qu’elle est trahie et que son amant s’est marié « avec une Flamande » qui ne la vaut pas :

Elle n’est pas si belle que vous,
Mais elle est plus puissante;
Elle fait fleurir le romarin
Sur le bord de sa manche.
Elle change la mer en vin
Et les poissons en viande.


Voilà l’abandonnée seule avec ses regrets, et en exhalant sa peine, elle retrouve les mêmes accens et les mêmes comparaisons que la virginité des filles inspirait jadis à Catulle et à l’Arioste[1].

Les filles sont comme la rose;
Tout un chacun veut la couper
Du moment qu’elle est boutonnée;
Personn’ ne veut la ramasser
Aussitôt qu’elle vient de tomber.

(Chanson du Bas-Poitou.)


Quelquefois les choses tournent mieux, et le galant qui revient de guerre, « cherchant ses amours, » les retrouve et les emmène tambour battant, comme dans cette chanson de l’Ile-de-France, citée par Gérard de Nerval, chanson hardie et joyeuse, pleine d’entrain et de jeunesse, dont le rhythme rapide semble galoper avec le cheval qui emporte la bien-aimée :

Allons, partons, belle,
Partons pour la guerre,
Car il y fait beau...
— A la première ville,
Son amant l’habille
Tout en satin bleu.

A la seconde ville.
Son amant l’habille
Tout en diamans;
A la troisième ville,
Son amant lui dit:
— Belle, je t’épouserai...

  1. Ut flos in septis secretus nascitur hortis, etc.
    (Catulle, Carmen nuptiale.)
    La virginella e simile alla rosa...
    (Arioste, Orlando furioso.)