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oraisons funèbres transportées sur la pierre. L’éloge de Murdia offre une particularité curieuse : un fils y célèbre les vertus de sa mère, laquelle s’est remariée et a eu d’autres enfans. L’orateur, qui est d’un premier lit, remercie sa mère de ne pas l’avoir frustré au profit de ses frères nés d’un autre père. Il fait ainsi au public des confidences de famille, il parle longuement d’affaires, en vrai Romain. On ne s’attend pas à rencontrer dans une oraison funèbre des détails tels que ceux-ci : « Elle institua héritiers tous ses fils à titre égal, en réservant une part à sa fille. On reconnaît son amour maternel à cette sollicitude, à cette égalité de partage. A son mari, elle légua une certaine somme d’argent pour relever le droit de la dot par un témoignage d’estime. Pour ce qui me concerne, elle se rappela le souvenir de mon père, et, s’inspirant de lui et de sa propre droiture, après estimation faite, elle me laissa par testament un prélegs, non pour me préférer âmes frères en leur faisant tort ; mais par égard pour mon père, en mémoire de sa libéralité, elle résolut de me rendre ce que, au jugement de son mari, elle possédait de mon patrimoine, tenant ainsi à ce que ces biens, dont elle n’avait que le dépôt, redevinssent ma propriété, etc. » A travers ce style formaliste courent des effusions de tendresse et de reconnaissance. Une pareille oraison funèbre ne pouvait être faite qu’à Rome, où on mêlait les affaires au sentiment. On est tout étonné de se sentir touché par cette élégie, qui semble avoir été composée dans un greffe, et par ce langage si méticuleusement précis, que nous sommes aujourd’hui accoutumés à lire sur du papier timbré et non sur un tombeau.

Une autre inscription qui présente les mêmes caractères, l’éloge de Turia, est plus précieuse encore et plus instructive. Est-ce une longue épitaphe ou bien une oraison funèbre ? Il serait hors de propos de discuter ce point, puisque dans les deux cas ce serait toujours un hommage funèbre rendu à une matrone. Dans cette inscription, remarquable par son étendue et par les intéressans détails qu’elle renferme, un mari, un personnage consulaire, Lucrétius Vespillo, célèbre les vertus de sa femme, dont le rare dévoûment lui a sauvé la vie durant les proscriptions du triumvirat. Ayant perdu ce modèle des épouses après quarante et un ans de mariage, il épanche avec ses regrets les secrets les plus intimes de sa maison. Pour mettre en lumière la délicatesse de sa femme en affaires, il parle de testamens, de partages, de dots, en établissant si bien les distinctions du droit, que cette épitaphe est devenue aujourd’hui le texte de savantes discussions juridiques. Il fallait que le public romain fût bien familier avec la langue du droit pour qu’on se crût autorisé à l’entretenir d’affaires domestiques si compliquées. De