Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/675

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impériales où la solennité de la mort finit en divertissante comédie, quand le jeune Néron célébra les vertus et la sagesse de l’imbécile Claude. Comme les oreilles avaient dû se dresser pour entendre cette oraison funèbre, artistement composée par Sénèque, discours qu’il était si difficile de faire, plus difficile encore de faire accepter, alors que personne n’avait d’illusions sur les mérites du défunt, Néron moins que personne, alors que plus d’un dans l’assemblée pouvait même soupçonner l’orateur d’avoir empoisonné son héros ! La foule, longtemps attentive et décente, n’y tint plus et finit par éclater de rire. D’autre part, le peuple, en entendant louer le meilleur des empereurs, Antonin le Pieux, par le meilleur des princes, Marc-Aurèle, ne dut-il pas se livrer à la joie de ses espérances et goûter les promesses d’un beau règne ? Ainsi, dans ces solennités oratoires de la mort nécessairement uniformes, l’âge, le talent, la situation de l’orateur ranimaient la curiosité, et des scènes sublimes, pathétiques, piquantes même, offraient à la multitude un intérêt que ne peuvent avoir nos régulières cérémonies.

Ce serait un rapprochement bien forcé que de comparer les éloges romains avec nos oraisons funèbres, puisque un des termes de la comparaison nous fait presque entièrement défaut, mais il convient pourtant de hasarder ici quelques réflexions. Nous ne nous refusons pas à croire, avec Cicéron, qu’en général ces éloges ont été médiocres ; ils devaient l’être le plus souvent, comme du reste ils l’ont été chez nous. Si nous n’avions pas eu par le plus glorieux hasard un Bossuet pour prêter à l’oraison funèbre son enthousiasme et sa poésie biblique, et si par la plus extraordinaire conjoncture Bossuet lui-même n’avait pas rencontré les sujets les plus dignes de son éloquence, une révolution inouïe, la chute d’un trône et d’une église, puis toutes les fragilités de la jeunesse, de la beauté, de la grâce réunies dans une seule personne royale, enfin l’héroïsme et le génie de celui qui passait pour le premier des capitaines, pense-t-on que l’oraison funèbre occuperait une grande place dans l’histoire de notre littérature ? Qui lit aujourd’hui celles de Mascaron, de Fléchier, de Bourdaloue, véritables orateurs pourtant, mais dont tout le talent n’a pu donner une vie durable à des discours qui, par leur nature même, semblent devoir ne pas longtemps survivre aux morts ? L’orateur romain n’avait qu’un avantage, mais il était grand, c’était de pouvoir exalter franchement, sans restriction et sans scrupule religieux, les vertus et les grandeurs humaines, devant une assemblée de citoyens, une foule populaire prompte à s’émouvoir, pour qui d’ailleurs les louanges accordées au défunt étaient en même temps les louanges de la patrie. Chez nous au contraire, au temps de Louis XIV, l’orateur sacré, à la fois prêtre et homme de cour, ne