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la douceur de les voir vivans ; mais il n’avait pas, ajoutait-il, le droit de se plaindre, car, connaissant les trahisons ordinaires de la fortune, et sachant que les grandes prospérités sont compensées par de grands revers, il avait formé le souhait que le malheur, s’il devait éclater, tombât sur sa propre famille plutôt que sur la république. Il faut lire dans Tite-Live et dans Plutarque cette harangue d’une si sereine magnanimité, où l’orateur, loin de demander des consolations, semblait vouloir consoler le peuple de sa propre infortune. Comment un tel langage aurait-il pu ne pas produire sur la foule une impression profonde ? voilà des scènes qui ne sont point possibles quand le discours funèbre est prononcé par un orateur d’office et qui doivent leur touchante beauté non-seulement à la grande âme de l’orateur, mais encore à cette circonstance, que l’orateur mène lui-même son deuil.

D’autres scènes, pour nous un peu étranges, mais qui ne semblaient pas telles aux Romains, pouvaient toucher par leur puérilité même quand montait à la tribune un adolescent orphelin ou même un enfant. Octave fit l’éloge funèbre de son aïeule Julie à douze ans ; Tibère fut plus précoce encore, n’ayant que neuf ans quand il rendit les honneurs à son père. Aucun ancien rapportant ces faits ne témoigne d’étonnement. Il n’y avait pas trop lieu de s’étonner de cette précocité, puisqu’on savait bien que ces enfans avaient un excellent précepteur, un maître de rhétorique, et que leurs discours n’avaient pas dû leur coûter. Les populations méridionales ne trouvent rien de disgracieux ou de choquant à ces graves enfantillages. Aujourd’hui encore à Rome, la veille de Noël, dans certaines églises, sur une estrade, sorte de tribune, de petites filles de six ans prononcent de longs discours oratoires sur les mérites de l’enfant divin. A côté de ces gentillesses, qui ne laissaient pas de remuer les cœurs, qu’on se figure maintenant l’oraison funèbre de Jules César par Antoine, qui fut tout un drame tumultueux et terrible que Shakspeare a jugé digne de son théâtre. En des temps plus calmes, sous l’empire, peut-on croire qu’il n’y eût pas une immense curiosité quand l’empereur lui-même paraissait à la tribune pour rendre les honneurs funèbres à un membre de sa famille ? Auguste y parut plusieurs fois pour célébrer successivement, après leur mort, son neveu Marcellus, son gendre Agrippa, sa sœur Octavie, son fils adoptif Drusus. La multiplicité de ces deuils dans une même famille souveraine pouvait être pour le peuple un sujet de compatissantes réflexions. D’autres oraisons funèbres devaient offrir un grand intérêt politique lorsque le nouveau prince, après son avènement, faisait l’éloge de son prédécesseur, lorsque par exemple l’énigmatique Tibère prononça celui d’Auguste et qu’on put se demander ce qu’il fallait craindre ou espérer. Il y eut même de ces funérailles