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tandis que nous rendons son corps à la nature, nous devons éternellement révérer son âme comme celle d’un dieu, » Sans doute cette oraison funèbre d’Auguste n’est pas authentique : Dion, selon l’usage des historiens anciens, l’a composée lui-même ; mais les auteurs, pour donner quelque crédit à leurs discours inventés, étaient obligés de respecter les coutumes et d’observer les vraisemblances. Si le discours de Tibère se termine ainsi, c’est qu’ainsi se terminaient les discours véritables. La fiction ne peut être que l’image de la réalité.

Nous ne voudrions pas trop exalter un genre d’éloquence dont nous savons si peu de chose et dont nous sommes obligé de deviner les mérites ; nous reconnaissons volontiers que ces discours devaient être le plus souvent fort compromis par l’inexpérience des orateurs ou leur jeune âge, car les jeunes gens recherchaient ces occasions funèbres et paisibles pour faire sans encombre leurs débuts oratoires ; mais, si on entendait de faibles harangues, on assistait à des scènes dont la diversité devait aux yeux de la foule renouveler l’intérêt. Chez nous, aux grandes funérailles, la cérémonie oratoire est toujours la même et n’offre rien de surprenant. L’orateur est un prêtre, il remplit un religieux office, et, à part le talent, qui peut varier, son apparition, sa personne, son costume, sont aussi prévus que la couleur des tentures qui décorent le temple. Combien plus attachante était la diversité de ces cérémonies à Rome et combien aussi les situations étaient plus touchantes ! L’immense et naïve multitude rassemblée sur le Forum était déjà émue quand elle voyait monter à la tribune un fils venant célébrer l’honneur de son père, eu un père qui avait à ses pieds le cercueil de son fils, et quand ce père était le grand Fabius, cinq fois consul, prince du sénat, le sauveur de Rome, que de sentimens civiques à la fois et humains devaient faire battre les cœurs : Bien des scènes extraordinaires pourraient être dépeintes ici, si elles n’étaient pas si connues. Qu’on se rappelle seulement la harangue de Paul Emile, qui n’est pas, il est vrai, une oraison funèbre proprement dite, mais qui mériterait ce nom. Après avoir en peu de jours renversé le puissant royaume de Macédoine et fait prisonnier le roi Persée, il avait perdu ses deux enfans, les seuls qui lui restassent, l’un cinq jours avant, l’autre trois jours après son triomphe, le plus magnifique triomphe qu’on eût jamais célébré. Quand il prononça le discours où il rendait compte au peuple de ses opérations militaires, il ne put s’empêcher de parler d’un deuil domestique qui laissait désormais sa maison vide et, comme il dit, n’y laissait plus que le vieux Paul Emile. Il se proposa comme un exemple des vicissitudes humaines, fit voir que lui le vainqueur était plus malheureux que le roi vaincu, puisque celui-ci, tout captif qu’il était avec ses enfans captifs, avait du moins