Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/655

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fanatisme religieux ou politique la trouve toujours prête aux pires excès dès qu’il y a la prime du désordre ou du pillage en perspective. Il suffirait d’un désastre de la Turquie pour compromettre gravement la sécurité de la population chrétienne et des colonies étrangères dans toutes les villes. Qu’un derviche errant, qu’un de ces fakirs privés de raison que la foule regarde avec une superstitieuse vénération proclame dans une mosquée la vengeance de la cause de Dieu et du Prophète, et la foule croirait à un ordre du ciel ; le massacre et le pillage seraient inévitables. Il est douteux que les autorités ottomanes puissent l’empêcher. On a vu à Damas, en 1860, Soliman-Pacha indifférent en présence de l’une des plus monstrueuses explosions de fanatisme dont notre siècle ait été témoin ; il est vrai qu’il a payé de sa tête cet oubli de son devoir. On ne prétend pas qu’une pareille attitude dans des circonstances analogues soit à présumer désormais de la part des pachas et des autres fonctionnaires : il y a un grand nombre de gouverneurs qui, obéissant aux sentimens d’humanité qui leur sont naturels, comprenant d’ailleurs qu’ils sont responsables, feraient, pour prévenir ou réprimer toute manifestation hostile aux raïas, les plus louables efforts ; mais les moyens d’action leur manqueront en partie, car les troupes dont ils disposent, plus portées encore que le peuple des villes et que les paysans à la haine des infidèles, hésiteraient à combattre les vrais croyans leurs frères, même sur l’ordre de leurs chefs. Dans la capitale de la Crète, ainsi qu’à Rétimo et à Candie, l’exaspération des Turcs rendrait probables de terribles représailles contre les chrétiens, si une défaite des armées ottomanes coïncidait avec une prise d’armes des Crétois orthodoxes dans l’un des districts.

D’autres causes contribueraient, au lendemain de la révolution, à provoquer de sanglans témoignages de l’antagonisme entre Grecs et Turcs. Si, comme d’ordinaire, les hostilités commencent à l’improviste, les cantons où les deux races sont mêlées en proportion inégale deviendront le théâtre d’attentats multipliés et de vengeances cruelles. Dans les districts de La Canée, de Rétimo, de Sélino, de Kissamo, il se trouve que quelques groupes de musulmans sont partout établis au milieu des orthodoxes. Ils redoutent beaucoup, dès aujourd’hui, de n’avoir pas le moyen de se réfugier à temps dans les villes ; il est certain qu’ils courraient de sérieux dangers, car on est bien forcé d’avouer que, dans les précédens soulèvemens, les insurgés faisaient la guerre de la même façon barbare qui a valu à leurs ennemis musulmans leur réputation d’inhumanité.

La Crète a pu, il y a dix ans, prolonger pendant de longs mois sa résistance ; la cause de ce retard de la répression ne doit pas être cherchée seulement dans les difficultés de la guerre de montagnes, dans l’incapacité de certains généraux turcs, ni dans le peu