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n’en sont satisfaits en aucune manière ; Si l’on va au fond des choses, il devient clair que les orthodoxes n’ont guère souci des améliorations administratives, mais qu’ils veulent des concessions par lesquelles le gouvernement se désarmerait et dont chacune serait une étape vers la délivrance définitive de ses sujets mécontens. C’est là une vérité que l’on n’ignore nullement à Constantinople, et on y agit en conséquence. S’il est naturel que les Grecs aspirent partout à des destinées indépendantes, la Porte a sans doute le droit de ne pas fléchir devant les tentatives à peine déguisées pour l’affaiblir dans cette partie de ses possessions.

L’autorité, ici plus qu’ailleurs, est exposée à se voir rendre responsable du malheur des temps, et la vieille renommée de barbarie des Turcs accrédite l’idée que les sabots de leurs chevaux empêchent l’herbe de repousser. Il est certain que le commerce est nul depuis quelques années en Crète, que l’agriculture languit, que l’appauvrissement général se décèle par l’absence du numéraire ; la cause véritable de cette détresse doit être cherchée dans la situation de l’empire tout entier et la ruine financière aujourd’hui consommée des grandes villes commerçantes comme Constantinople et Smyrne. Il n’y a pas de justice dans l’île ; mais si les tribunaux sont impuissans à réprimer les crimes, il faut s’en prendre à la mauvaise volonté de la population, qui se fait un jeu du choix des juges et envoie de propos délibéré dans les tribunaux les moins dignes d’en occuper les sièges. Les écoles se ferment ; c’est grâce à l’indifférence des familles grecques relies ne veulent pas payer la pension de leurs enfans, encouragées qu’elles sont par l’exemple des moines, qui font des difficultés pour payer la faible part de leur revenu attribuée à l’instruction publique. Quant aux fonctionnaires turcs, on ne peut leur reprocher, même dans les districts les plus éloignés, ni un abus de pouvoir ni un fait de corruption ; la population se ferait un grief de toute illégalité, les journaux en retentiraient, et l’autorité supérieure serait intéressée à mettre fin au scandale.

Loin d’être un pays persécuté, la Crète, qui ne paie d’autre impôt que la dîme, dispensée du service militaire et de la taxe d’exemption perçue ailleurs sur les raïas, est une province privilégiée. Depuis quatre ans, elle a été gouvernée par deux valis à qui la population n’a jamais témoigné d’autre sentiment qu’une sympathie méritée, bien que les journaux hostiles aux Turcs les aient attaqués sans ménagemens, Réouf-Pacha et Samih-Pacha. La Porte est intéressée à la tranquillité de la Crète ; sa condescendance va en certains cas jusqu’à la faiblesse : c’est ainsi que les créanciers étrangers ne peuvent jamais obtenir le recouvrement du capital ni des intérêts des emprunts contractés par les Crétois. Il est donc difficile de prétendre qu’au nombre des argumens que les Crétois peuvent faire