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de la résurrection nationale par une force bien plus puissante que celle qui poussait les Italiens vers l’unité. L’Orient en est encore au moyen âge ; les races s’y juxtaposent et ne s’y fondent pas, venues qu’elles sont des quatre vents du ciel, et ennemies en vertu de leur diversité même. Trop de traditions et de souvenirs ont semé la haine entre elles pour qu’elles se réconcilient jamais. La haine va surtout de l’esclave au maître, du raïa au Turc ; quant au mépris, il existe chez les uns et chez les autres en dose égale, même chez les plus humiliés ; il est vraisemblable que rien n’approche, par exemple, du secret et silencieux dédain d’un juif levantin de la vieille roche à l’égard des Turcs et des chrétiens dont il baise la main. On a déjà dit que les Turcs et les Grecs de Crète, qui ont la même façon de vivre, la même langue et presque la même origine, sont frères ennemis et se sont fait les uns aux autres, depuis le commencement du siècle, un mal incalculable.

Qu’arrive-t-il de tout cela ? C’est que l’anéantissement de la domination turque est considéré par les Grecs instruits comme devant être une revanche de la conquête, et aussi une victoire de la civilisation, puisqu’ils se regardent eux-mêmes comme entrés dans la grande fraternité européenne. Quant au peuple, crédule aux prédications de ses peu édifians caloyers, il pense, tout comme les croisés de 1095, qu’il faut partir en guerre parce que Dieu le veut, et aussi parce que les fortes têtes du chef-lieu sont de cet avis.

Les années s’écoulèrent ; à mesure que le temps atténuait la vivacité des souvenirs de la fatale année 1867, l’opposition au gouvernement renaissait et se manifestait de diverses manières. Elle procédait, cette fois surtout, par des revendications de détail ; il s’agissait de modifier certaines dispositions de l’acte organique que les chrétiens présentaient comme contraires à l’équité. Ces adresses étaient terminées par des formules de soumission au sultan et d’attachement aux institutions ottomanes ; ce langage faisait un contraste étrange avec le ton de menace sous-entendue au reste du document. Le nombre des députés et des juges et leur mode d’élection étaient le principal grief exposé. La population grecque et la turque sont représentées, au sein de l’assemblée et des tribunaux, par des délégués en égal nombre pour les deux races ; il paraissait aux orthodoxes que ce système devait être modifié et remplacé par le droit de vote accordé à tout Crétois sans distinction de culte. Comme ils sont les plus nombreux d’un tiers, ils auraient obtenu ainsi dans le conseil général et les cours de justice une imposante majorité de voix. Le gouvernement impérial se refusa à toute modification du firman de 1868.

Quand, au mois de mai de l’année dernière, l’assemblée se réunit, les députés chrétiens déclarèrent que l’acte organique les