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produire des fruits ? Il ne serait pas arbre sans cela. Et que fera l’inconscient, lorsqu’il n’y aura plus de monde ? que faisait-il quand il n’y en avait pas ? Qui ne voit que c’est là se représenter les choses au point de vue théiste ? Dans le panthéisme, Dieu est inséparable de ses manifestations. Il n’y a qu’un seul être, et les êtres individuels ne sont que cet être modifié. Le fond de mon être c’est l’inconscient, l’absolu, Dieu. Comment ce fond pourrait-il être misérable ? comment la vie serait-elle mauvaise en soi ? Car la vie n’est que l’un-tout manifesté dans des conditions finies. Que je souffre, moi individu, de ces conditions finies, je le veux bien ; mais en tant que je fais partie de l’un-tout, que je suis lui, et qu’il est moi, que je participe à son essence, je participe par là même au type de toute perfection. Aussi, tous les panthéistes ont-ils été optimistes, et le pessimisme n’est qu’un faux théisme.

En un mot, nous poserons à M. de Hartmann le dilemme suivant : ou votre inconscient est un infra-conscient, c’est-à-dire une nature vraiment brute et aveugle, qui ne sait ce qu’elle fait et qui produit au hasard le mal et le bien, et alors le monde n’est ni le meilleur des mondes possibles, ni le plus mauvais des mondes possibles ; il est le seul monde possible : il est ce qu’il est. Il faut en prendre son parti et ne pas s’indigner contre une nature qui n’en peut mais : l’espoir même de mettre fin à la douleur par un prétendu nirvana est une illusion puérile. Vous ne pouvez pas plus anéantir le monde que vous n’avez pu le créer. Tant que la nature aura assez de force pour enfanter des êtres vivans, elle en enfantera malgré vous ; la philosophie de Hartmann n’empêchera pas les animaux de s’accoupler et d’avoir des petits : elle n’en empêchera même pas l’humanité. La seule conséquence de ce système est celle que tous les esprits nets et pratiques en ont tirée dans tous les temps. Puisque la vie est un mélange de plaisir et de douleur, et que les hommes l’aiment invinciblement malgré qu’ils en aient, la sagesse consistera à se procurer le plus de plaisirs possibles avec le moins de douleurs possibles, et, comme les plus vives douleurs naissent des affections que nous avons pour les autres, on s’efforcera de les éteindre autant qu’il est possible, sans se priver cependant des avantages de la société, de la famille et de l’amitié : accommodement que les égoïstes de tous les temps ont toujours su ménager. Enfin, si malgré tout cela vous n’êtes pas contens, il vous reste la ressource de vous en aller a comme on sort d’une chambre remplie de fumée, » selon l’expression des stoïciens ; mais si vous n’aimez pas la vie, ce n’est pas une raison pour en dégoûter les autres.

Ou bien votre inconscient est un supra-conscient, et vous ne lui refusez, dites-vous, l’attribut de la conscience que dans la crainte de le dégrader. À ce titre, vous lui imputez, comme les théistes, la