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caractéristique et significatif. C’est ainsi que la philosophie de l’inconscient, qui est propre à M. de Hartmann, se distingue de la philosophie de la volonté, qui est celle de Schopenhauer.

Le principe de Hartmann en effet n’est pas seulement la volonté, mais la volonté unie à l’intelligence. Schopenhauer avait séparé la volonté et l’idée (la représentation, die Vorstellung)[1] ; Hartmann les réconcilie, et il est beaucoup plus près de la vérité. La volonté, selon lui, suppose toujours deux idées : celle d’un état présent comme point de départ, celle d’un état futur comme point d’arrivée. Le vouloir n’a de réalité que par le rapport qu’il établit entre l’état présent et l’état futur. Il n’y a pas de volonté sans objet. Une volonté qui ne veut rien n’est rien. D’où cette conclusion : pas de volonté sans idée : (grec). Le vouloir n’est que le pouvoir formel ou abstrait de réaliser quelque chose en général. Le contenu de cet acte ne peut être conçu que comme représentation ou idée. Nous devons donc admettre que le contenu de la représentation est toujours une idée : on ne peut parler de la volonté sans parler de l’idée. De là, dit Hartmann, l’étonnante lacune qui se rencontre dans le système de Schopenhauer. L’idée n’y est pas reconnue comme constituant exclusivement le contenu de la volonté ; la volonté toute seule, quoique aveugle, se conduit néanmoins comme si l’idée lui fournissait son contenu. Ainsi d’une part les disciples de Schopenhauer se sont trompés en admettant une volonté sans idée ; mais les disciples de Hegel et de Herbart se sont également trompés en admettant que l’idée est la volonté. En réalité, ni les uns ni les autres ne suppriment l’élément qu’ils passent sous silence ; ils le sous-entendent. Schopenhauer admet implicitement un contenu de la volonté, et ce contenu ne peut être que l’idée ; Hegel et Herbart admettent implicitement que l’idée a le pouvoir de se réaliser elle-même, ce qui est au fond l’attribut de la volonté. La doctrine de Hartmann se présente comme une conciliation de Hegel et de Schopenhauer.

La vraie question n’est donc pas de savoir s’il y a une volonté sans idée (ce qui est impossible), mais s’il y a idée sans conscience. Cependant si on se borne à ces termes, on n’atteindra pas encore le dernier problème, car on peut admettre des idées inconscientes et latentes, et ceux qui croient aux idées innées et aux concepts a priori admettent bien quelque chose de semblable. La question est plus haute. Il s’agit de savoir, non pas s’il y a tel degré d’inconscience dans l’ordre des intelligences secondes, mais si l’intelligence première est inconsciente en soi, en un mot quel est le

  1. Le traducteur a partout rendu le mot Vorstellung par idée. C’est une traduction préférable, si l’on veut, pour l’élégance et la rapidité ; mais le sens précis est représentation. C’est le terme communément admis.