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traité pour lui-même. À ce point de vue, le livre de M. de Hartmann constitue une œuvre vraiment nouvelle et surtout écrite dans une méthode toute différente ; c’est un livre riche de faits, où une profonde connaissance des sciences expérimentales se manifeste à chaque pas. Ce n’est plus la méthode constructive, tout a priori, de la grande idéologie allemande ; c’est la méthode inductive, analytique, expérimentale. Il faut distinguer dans ce livre deux parties : la phénoménologie de l’inconscient, et la métaphysique de l’inconscient. Or, quelque jugement que l’on porte sur la seconde de ces deux parties, on ne peut méconnaître la richesse et l’utilité de la première. Toutes les écoles de philosophie peuvent y apprendre, et en particulier le spiritualisme n’a rien à en redouter. Nous sommes depuis longtemps en effet habitués, depuis Leibniz, à admettre l’existence des perceptions obscures et des idées latentes, et une monographie aussi approfondie sur le rôle de l’inconscient dans tous les domaines de la nature est réellement une acquisition pour la science, quelque parti qu’on prenne d’ailleurs sur la nature du premier principe. Il est vrai que Hartmann ne se contente pas, comme Leibniz, de perceptions obscures et qu’il soutient contre lui, et à la lettre, l’existence de perceptions inconscientes ; mais ce n’est là qu’une différence dans l’interprétation des faits, les mêmes faits peuvent être reconnus de part et d’autre. On lira donc avec un vif intérêt et une véritable instruction tout ce que l’auteur nous apprend de l’inconscient dans la vie corporelle, et dans la vie spirituelle, dans l’amour, dans la sensibilité, dans le caractère et la volonté, dans l’art, dans l’origine du langage, dans la pensée, dans la perception sensible, etc. C’est toute une psychologie de l’inconscient qui vient enrichir et compléter la psychologie du conscient. On ne diminuerait pas le mérite de l’auteur en disant que d’autres philosophes avaient eu la même idée, car autre chose est une doctrine théorique et générale, appuyée seulement de quelques exemples, autre chose toute une science, tout un système, où la série totale des faits, soit dans le domaine physiologique, soit dans le domaine psychologique, est abondamment développée. Cependant, malgré les mérites que nous venons de signaler, nous reprocherons à l’auteur de n’avoir pas encore assez séparé la phénoménologie de la métaphysique. Il devait se contenter de dire, à notre sens : « Il y a de l’inconscient dans la nature, » au lieu de dire, comme il le fait sans cesse : « L’inconscient se manifeste dans la nature, » comme s’il était accordé d’avance qu’il y a un principe appelé l’inconscient, et que l’absolu est ce principe même, tandis que ce sera précisément l’objet de la seconde partie d’établir cette doctrine.

Nous préférons donc de beaucoup la première partie du livre à la seconde. La première, comme analyse expérimentale de l’élément