Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/630

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sympathique et plus élevée. Le pessimisme théorique paraît s’unir en lui à des mœurs plus douces. Il n’a point cette misanthropie brutale et cynique qui fait de Schopenhauer un personnage si amusant, mais si insupportable. Il répudie la manière grossière et basse dont Schopenhauer parle des femmes, et déclare que ceux qui ne savent pas respecter les femmes prouvent par là même qu’ils n’ont connu que celles qui ne méritent pas d’être respectées. Il ne paraît pas avoir voulu contribuer pour sa part à la fin du monde, car il s’est marié, il a des enfans, et il nous a donné dans son autobiographie un tableau aimable et piquant de son intérieur. « Dans notre ménage, dit-il, ma femme bien-aimée, la compagne intelligente de mes poursuites idéales, représente l’élément pessimiste. Tandis que je défends la cause de l’optimisme révolutionnaire, elle se déclare hostile au progrès. A nos pieds, joue avec un chien, son fidèle ami, un bel et florissant enfant, qui s’essaie à combiner les verbes et les substantifs. Il s’est déjà élevé à la conscience que Fichte prête à son moi, mais ne parle encore de ce moi, comme Fichte le fait souvent lui-même, qu’à la troisième personne. Mes parens et ceux de ma femme, ainsi qu’un cercle d’amis choisis, partagent et animent nos entretiens et nos plaisirs, et un ami philosophe disait dernièrement de nous : Si l’on veut voir encore des visages satisfaits, il faut aller chez les pessimistes. »

La Philosophie de l’inconscient, ouvrage capital de M. de Hartmann, est le livre philosophique qui a fait le plus de bruit en Allemagne depuis une dizaine d’années, et il mérite sa réputation par l’étendue des connaissances, l’intérêt de l’exposition, l’originalité des vues. Même le pessimisme exagéré de l’auteur, et qui, selon nous, est insoutenable philosophiquement, est un point de vue utile à développer et à rappeler. L’optimisme tombe trop facilement dans la banalité et dans l’indifférence ; on oublie trop les misères humaines. Paru pour la première fois en 1866, l’ouvrage a eu sept éditions. Un jeune professeur de l’université de France, M. Nolen, connu par un savant travail sur les rapports de Leibniz et de Kant, et très compétent en philosophie allemande, vient de nous donner de la septième et dernière édition une traduction française[1] facile, naturelle, fidèle, faite sous les yeux et avec la coopération de l’auteur, précédée d’une savante introduction où, selon le défaut commun à tout traducteur, il nous paraît un peu trop verser dans le sens de l’original, ainsi que d’une lettre de M. de

  1. La Philosophie de l’inconscient (2 vol. in-8o). Dans la Bibliothèque de philosophie contemporaine on a aussi traduit de M. de Hartmann deux écrits moins importans, la Religion de l’avenir et le Darwinisme. Ce dernier ouvrage, très curieux, a été traduit par M. George Guéroult. — Voyez aussi, dans la Revue du 1er octobre 1874, l’étude de M. Albert Réville sur M. de Hartmann.