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III.

Un désir amoureux, mais chaste et contenu, traverse déjà cette dernière chanson. Avec la puberté, l’amour a poussé au cœur du jeune gars. Sa lèvre supérieure s’estompe maintenant d’une légère moustache, la vingtième année approche, et avec elle une nichée de chants plus passionnés bourdonne dans son cerveau. Dès que la jeunesse arrive, il se fait comme une joyeuse explosion de tendresse au cœur des filles et des garçons. On se promène, les soirs de dimanche, jusqu’à l’orée du bois; on s’en va par bandes aux rapports, aux ballades, aux veillées. Expansive et tumultueuse, leur joie est d’autant plus violente qu’elle est courte. Au milieu de cet éblouissement de la vingtième année, un pressentiment leur dit qu’il faut se hâter, que la jeunesse passera comme l’herbe, et jusque dans leur allégresse on sent de la mélancolie :

Tandis que nous sommes filles et garçons,
Dansons et nous divertissons,
Car le temps qui nous mène
Nous fera endurer grand’peine.


Chez ces natures prime-sautières, l’amour éclôt brusquement, sans toutefois que cette vivace explosion du désir se manifeste par des brutalités d’expression. Au contraire, il n’est pas rare de rencontrer dans leurs chansons des notes de mélancolie, de délicates nuances de tendresse qui feraient envie à plus d’un poète lyrique. Ici, c’est un garçon encore timide, mais déjà travaillé par le mal d’amour, qui s’enfuit au fond des bois et demande au rossignol son secret pour se faire aimer. Là, c’est un amoureux qui, semblable aux jeunes gens des épigrammes grecques, passe la nuit couché à la porte de sa blonde et raconte sa veillée avec un accent d’humilité touchante :

Ah! combien de nuits j’ai passé!
Combien de nuits malheureuses,
Belle, à ta porte j’ai couché,
Tremblant la fièvre dangereuse
Qui tient mon cœur enchalé (embrasé).


Un troisième trouve sa bien-aimée endormie sous un arbre, et on croirait lire une idylle de Théocrite dans ces couplets où est décrit le sommeil de la jeune fille :

Je me suis approché d’elle
Pour bien la voir sommeiller ;
Elle a son bras sous sa tête
Pour lui servir d’oreiller;