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LA
MÉTAPHYSIQUE EN EUROPE
DEPUIS HEGEL

III.[1]
LA PHILOSOPHIE DE LA VOLONTÉ ET LA PHILOSOPHIE DE L’INCONSCIENT.

Comment la philosophie de Schopenhauer est-elle restée si longtemps négligée et méconnue ? et pourquoi a-t-elle tout à coup éclaté, et entraîné l’opinion ? C’est un problème curieux. L’hypothèse d’une conspiration du silence est inadmissible, il doit y avoir d’autres raisons. On peut en donner quelques-unes.

La pensée humaine se laisse bien rarement détourner de la direction où elle est engagée avant qu’elle soit arrivée au terme. Le cartésianisme n’a succombé que lorsque Malebranche et ses disciples en ont eu tiré toutes les conséquences idéalistes qu’il contenait. Le condillacisme également n’a succombé qu’après avoir donné toutes ses conséquences. Ainsi de la philosophie allemande. Elle était engagée depuis Kant dans une entreprise dont elle voulait voir la fin ; elle a dû épuiser jusqu’au bout l’hypothèse qui explique toutes choses par la pensée, par la pensée seule. Tout ce qui était un progrès nouveau dans cette direction la charmait et la captivait ; tout ce qui sortait de cette série de déductions ne l’intéressait pas. La philosophie de Schopenhauer, tout en reproduisant en partie l’idéalisme de Kant, était surtout et dans le fond une réaction réaliste : c’était, sous le nom de volonté, le retour de la chose en soi, exorcisée par l’école de Fichte et de Hegel. Il fallait attendre un temps

  1. Voyez la Revue du 15 avril et du 15 mai.