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grosse femme aussi commune de formes que vulgaire d’expression, qui est noyée dans un ton rose lie de vin ; une autre Vérité, par M. Paul Rouffio, qui ment à son nom, car la vérité n’a pas ces tons vitreux et ces raccourcis inexplicables ; une Andromède molle et pâlotte de M. Edouard Sain ; la Salmacis de M. Landelle, qui n’a que le défaut d’être trop jolie ; une Source de M. Faure, dont le corps veule s’éclaire par reflets ; une Naïade à jambes fuselées, par M. Bastien ; une Sappho échouée sur la grève, le corps gonflé et livide, par M. Bertin ; la jeune fille, un peu grêle, de l’excellente Étude de M. Dubufe fils ; la Nymphe Écho, de M. James Bertrand, coloration bise et galbe anguleux (les genoux, les coudes, la nuque, la chute des reins, tout est coupé à angle droit) ; enfin la Petite jeune fille de M. Pelez. Se tordant sur une table à modèle, cette petite fille est de l’aspect le plus réjouissant en sa structure de batracien.

A l’exemple d’Alfred de Dreux, qui ne peignait que des chevaux de luxe, il semble qu’aujourd’hui les peintres du nu ne veuillent peindre que des femmes de luxe, c’est-à-dire incapables d’enfanter et d’allaiter. Le beau n’est plus l’idéal, c’est le joli, — et quel joli ! toutes ces femmes sont mièvres, chétives, débiles ; le col est mince, la poitrine étranglée, le bassin étroit, les hanches grêles, la carnation anémique. Il n’y a pas de sang dans cette chair amollie par le repos et la claustration ; il n’y a pas de lait dans ces seins à peine gonflés. Le système musculaire manque à ces figures qui n’ont plus même de nerfs. Ce ne sont point des Vénus, encore moins des Cybèles. Les caresses de Mars les briseraient, et elles seraient impuissantes à porter un enfant dans leurs flancs appauvris. N’est-ce point un signe de décadence que ce mépris du caractère essentiel du type de la femme ? Sans parler de Michel-Ange et de Rubens, Raphaël, Titien, Corrège et tous les maîtres ont compris que la plus haute expression de la beauté de la femme est la grâce souveraine de la force.


III

L’importance du sujet et la valeur de l’œuvre exigent que, sans s’inquiéter de l’ordre chronologique, on commence par le Marceau, de M. Jean-Paul Laurens, l’étude de la peinture d’histoire. Si Paul Delaroche était, selon l’énergique expression de Henri Heine, le courtisan des majestés décapitées, M. Jean-Paul Laurens rappelle l’Old-Mortality de Walter Scott. Son esprit hante les tombes, et son imagination ne se plaît qu’à évoquer des cadavres. Le duc d’Enghien, l’Interdit, le Pape Formose, Isabelle de Portugal, qui ont fait et consacré sa réputation aux dernières expositions, sont