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témérairement dans des aventures comme aussi sans le diminuer au milieu de toutes ces complications de la diplomatie et de la guerre qui se succèdent, qui tiennent l’Europe entière en suspens.

C’est là le point grave en effet. Pour le moment, tous les regards sont tournés vers l’Orient, vers ces contrées toujours disputées où la Russie et la Turquie vont se rencontrer une fois de plus les armes à la main. La diplomatie, après avoir été vaincue et déçue dans tous ses efforts, n’a plus qu’à regarder aujourd’hui et à surveiller avec attention les événemens. La Russie est désormais en pleine action, ou du moins en pleine marche de toutes parts; elle a ses têtes de colonnes sur le Danube, sur les divers points où elle se propose sans doute de passer le fleuve, et en Asie elle manœuvre autour de Batoum ou dans la direction de Kars, la clé de la défense de la Turquie de ce côté. Naturellement, avant même que la guerre soit engagée d’une manière sérieuse, les bulletins courent l’Europe. C’est tout au plus si la place de Kars, qui a résisté pendant bien des mois en 1855, devant laquelle les Russes ont essuyé des échecs sanglans, n’a pas capitulé à la première sommation. En réalité c’est une campagne qui commence comme toutes les campagnes de ce genre, qui s’engage cette fois, comme en 1828, dans des conditions particulièrement laborieuses, au milieu des contrées inondées du Danube, où les opérations ne marchent pas si vite. Ces difficultés, ces lenteurs étaient prévues, et il est douteux qu’avant quelques jours il y ait rien de décisif, surtout dans la vallée du Danube, où le point de passage de l’armée russe reste incertain malgré les canonnades peu sérieuses échangées jusqu’ici.

L’action militaire proprement dite en est donc encore à s’accentuer, et déjà, avant d’avoir frappé le premier coup par les armes, la Russie n’en est plus sans doute à mesurer, dans le sentiment de sa responsabilité, la gravité politique d’une entreprise dont tout le monde a voulu la détourner. Elle n’en est pas à démêler tout ce qui peut surgir de questions, de difficultés, de complications, naissant presque irrésistiblement de la guerre, affectant plus ou moins tous les intérêts. La Russie a la ferme résolution de limiter son intervention aux seuls objets qu’elle se propose, nous voulons le croire; elle a eu le soin de définir ces objets, de désavouer toute pensée de conquête ou de prépotence exclusive, de rassurer les cabinets par ses déclarations : soit. On a eu soin aussi de prendre acte de ses engagemens. Ce n’est pas moins l’inconnu qui commence avec la guerre, et, à peine la Russie a-t-elle fait un pas, voilà déjà une première question qu’elle soulève. Elle entraîne dans la lutte les Roumains, dont elle emprunte le territoire, c’était facile à prévoir. La Roumanie à son tour a son ambition, elle veut proclamer son indépendance, s’ériger en royaume, rompre le faible et peu compromettant lien de vassalité nominale qui la rattachait à l’empire ottoman. Or la