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guerre aux cléricaux ; ceux-là se figurent discréditer la république en la montrant en lutte avec toutes les traditions conservatrices. Chacun a son préjugé, sa haine de parti. Entre toutes ces exagérations cependant il y a l’intérêt du pays que tout le monde invoque et qu’on ne respecte guère, qui exclut certainement les agitations, les violences de toute sorte, « le fanatisme religieux et le fanatisme antireligieux, » comme le disait naïvement un ordre du jour qui n’a pas même eu la chance d’être mis aux voix. Cet intérêt, qui le représente? qui parle pour lui? les partis l’oublient tous les jours; c’est le rôle et le devoir du gouvernement de le défendre, et M. le président du conseil s’efforce assurément de ne pas manquer à ce devoir. Il a particulièrement essayé de le remplir à l’occasion de cette récente interpellation ; il n’a peut-être pas été très heureux, il a parlé du moins avec une modération complète, avec une impartialité supérieure, et chose étrange, surtout peu rassurante, c’est M. Jules Simon qui a eu le langage d’un homme de gouvernement, c’est M. Gambetta que la majorité des gauches a suivi! L’ordre du jour qui a été voté est la conséquence du discours passionné de M. Gambetta bien plus que du discours modéré de M. Jules Simon. La situation peut sembler bizarre, elle l’est en effet plus qu’on ne le croit, et elle a été un instant sur le point de devenir grave. Pour tout dire, M. le président du conseil a failli être victime de sa modération même; M. Gambetta n’a rien négligé pour mettre le gouvernement dans l’embarras en l’accablant de l’ironie de sa protection, si bien qu’un moment, en plein imbroglio parlementaire, on a pu se demander ce qui allait arriver, si une scission n’allait pas éclater. Il a fallu suspendre la séance pour délibérer dans les conciliabules secrets, pour essayer de tout rajuster.

Comment M. le président du conseil a-t-il été sauvé? Un incident providentiel est survenu! M. Gambetta avait fort endommagé la position de M. le ministre de l’intérieur, un journal clérical, par ses attaques injurieuses, a rétabli l’équilibre. Ce journal, exhibé à propos, a provoqué un mouvement aussi naturel qu’inoffensif d’indignation de la part du chef du cabinet et lui a permis d’oublier un peu sa modération de la veille pour se rallier à un vote qu’il ne pouvait plus empêcher. Il est resté avec un ordre du jour passablement embarrassant sur les bras et cette majorité des trois gauches qu’on lui a prêtée, dont il n’est pas maître, qui est assurément destinée à défaire plus de ministères qu’elle n’en fera jamais vivre, car c’est là toujours le mal profond, le mal qui crée ces situations incohérentes d’où sortent les incidens et les mécomptes : il n’y a qu’une apparence de majorité. Cette réunion des trois gauches, que M. Gambetta peut désirer maintenir, puisqu’il s’en sert, n’est qu’un artifice trompeur, périlleux, qui empêche tout. Elle est si peu sérieuse qu’après s’être entendue sur un ordre du jour, elle ne