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du firmament musical : des aptitudes, du talent, il y en a des trésors, trop peut-être, car le génie en sa jeunesse est d’ordinaire moins habile et moins malin. Reste à se demander si l’inspiration viendra. Henri Heine, parlant d’Alfred de Musset, disait jadis : « C’est un jeune homme d’un très beau passé ! « L’auteur du Roi de Lahore est un homme jeune d’un beau présent. La grande ligne de vie se dérobe encore sans doute, mais les arabesques sont splendides.

L’Opéra-Comique, à défaut d’autres nouveautés, offre en ce moment au public le spectacle de ses petites querelles domestiques. Comme dans tous les mauvais ménages, on se chamaille. Le directeur se brouille avec son chef d’orchestre, qui, séance tenante, quitte son pupitre et remet ses pouvoirs à son second. Jusque-là, rien de fort extraordinaire; uno avulso non déficit alter. Ce que disait Virgile des rameaux de l’arbuste sacré peut aussi bien se répéter à propos d’un bâton de mesure; mais l’occasion se présentait sous des auspices trop favorables pour ne pas être exploitée aussitôt à l’avantage des recettes de Cinq-Mars, et dès le surlendemain l’auteur en personne s’asseyait au fauteuil de M. Lamoureux, ex-titulaire de l’emploi. Ce coup de théâtre eût été organisé d’avance qu’il n’aurait pas mieux réussi; l’annonce sur l’affiche de M. Gounod comme chef d’orchestre était un stimulant des plus ingénieux pour le succès d’une œuvre « sur laquelle repose en ce moment l’existence du théâtre. » Nous empruntons ces mots au texte même d’une lettre du directeur de l’Opéra-Comique, et nous les soulignons à dessein. Ainsi voilà une de nos premières scènes nationales, un théâtre coûtant à l’état 180,000 francs de subvention, et que la mauvaise fortune d’un ouvrage, d’un seul ouvrage, peut, de l’aveu de son directeur, réduire à fermer ses portes du jour au lendemain. Mais le répertoire alors, qu’en faites-vous?

Est-il vrai, oui ou non, que l’Opéra-Comique possède tout une suite de chefs-d’œuvre, qu’il tient du passé comme la Comédie-Française, un précieux héritage de traditions qu’il importe d’avoir en honneur et de perpétuer? Oui, certes, cela est vrai, et nul n’oserait y contredire; seulement on vous objecte que ce répertoire n’attire aujourd’hui plus personne. Il s’agirait alors de s’expliquer d’où provient cette désuétude et pourquoi tels chefs-d’œuvre, qui naguère sous les administrations précédentes emplissaient la salle jusqu’aux combles, se chantent maintenant dans le désert. Hélas! l’explication n’est que trop aisée. Si les chefs-d’œuvre dont je parle ne font plus d’argent, le mal résulte de la manière dont ils sont exécutés. Je voudrais voir ce que deviendrait le répertoire de Molière et de Racine, de Marivaux et de Beaumarchais, le jour où l’administrateur de la Comédie-Française, ayant peu à peu laissé se disperser son personnel, n’engagerait plus d’artistes qu’en vue de la pièce qu’il a reçue hier, qu’il donnera demain, et sur laquelle après-demain reposera l’existence du théâtre. C’est cependant ce qui se passe