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verroteries chromatiques et pyrrhiques, vous en avez jusqu’à l’aveuglement, jusqu’au vertige. Dès l’ouverture, très mouvementée, très nerveuse, la fête commence, et l’auteur trouve le moyen d’accoler l’accord parfait de mi bémol avec l’accord de la majeur, alliance atroce qui, venant par la force de l’idée, aurait à peine son excuse et qu’on nous présente de gaîté de cœur, pour le plaisir. Même abus des sonorités dans le chœur d’introduction, dans le finale, partout la recherche, le bruit, des placages que les adeptes ne supporteraient pas chez Verdi. Une fleur charmante s’épanouit pourtant au cœur de ce premier acte, je veux parler du récit de la belle Sita :

C’était le soir d’un jour de fête.
Je priais seule ici, soudain j’entends des pas :
Un homme jeune et fier devant l’autel s’arrête...


Et d’abord, que vous semble de ce romanesque du poème? n’admirez-vous pas cet Orient renouvelé des bons vieux libretti italiens? Cet homme jeune et fier qui se glisse ainsi chaque soir dans le temple d’Indra quand l’Angelus sonne et que la voix de sa maîtresse lui donne le signal en chantant, ce beau fils ne saurait être qu’un jeune seigneur de la cour du grand roi déguisé en mamamouchi; qui sait même s’il ne serait point par hasard Louis XIV en personne se rendant au pieux et tendre appel de la carmélite de Chaillot. N’importe, si le poème, en cette occasion comme en bien d’autres, manque absolument de sérieux, la musique ne plaisante pas. Voyez un peu quelle puissance est pourtant la mélodie, il suffit d’un grain de cet encens pour changer toute une atmosphère, et c’est par elle, par elle seule que ses plus invétérés antagonistes trouvent grâce devant le public. Rien de plus simple que ce récit de Sita au premier acte du Roi de Lahore, c’est fait avec trois notes, et ce bout de plain-chant doux et mélancolique va pour un moment avoir raison d’une indifférence contre laquelle lutteront en vain toutes les tempêtes de l’orchestre et tous ses mirages. — Au second acte, les épisodes se multiplient; la scène des soldats jouant aux échecs tandis que des esclaves persanes tournoient au second plan est un joli tableau d’opéra dont M. Delibes pourrait avoir écrit la musique; le morceau qui suit pour deux voix de femmes a de la rêverie et ce charme contemplatif, si délicieux à respirer dans l’hymne à la nuit au dernier acte des Troyens de Berlioz. Du reste cette note contemplative reparaît ici trop souvent, elle vient sans qu’on la demande et parfois très mal à propos alors que l’accent dramatique est seul indiqué. Quant au grand duo d’Alim et de Sita, c’est ce qu’un Allemand appellerait de la musique de partitionnaire, il n’y a là ni sens du théâtre ni inspiration, cela cherche tout, vise tout et n’attrape rien.

Le troisième acte ouvre à nos yeux le paradis d’Indra :