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telles que Lamartine ou Victor Hugo, Ingres ou Delacroix, Auber, Hérold ou Boïeldieu. On remarquera que je ne parle ici que des Français, et justement un fait me revient à l’esprit, bien significatif et que je tiens de l’auteur de la Muette. Il s’agissait non point d’un sonnet, mais d’une fugue sans défaut, objet non moins rare jadis :

Une fugue en musique est un morceau bien fort,


a dit Regnard, et ce morceau de science accomplie dont s’émerveillait le directeur du Conservatoire était d’un bambin de dix ans. Auber ordonna qu’on fît monter le Mozart en herbe, et quand Halévy le lui présenta, l’illustre vieillard encouragea l’enfant, puis, malicieusement, lui frappant sur l’épaule : « Bravo, mon bonhomme, je te félicite, à la condition que maintenant tu me trouveras un pont-neuf pour mettre là dedans. » Un pont-neuf ! une idée ! c’est à quoi nous pensons le moins, Brid’oisons que nous sommes, uniquement occupés de la forme, et l’inspiration, que devient-elle dans ce jeu brillant et puéril de syllabes, de sonorités, de valeurs? que devient le grand souffle lyrique et dramatique? Sans elle pourtant point de génie. Qui nous rendra cette divine inconscience d’un Raphaël, d’un La Fontaine et d’un Mozart? Ici j’entends les jeunes s’écrier : Vous voulez donc nous ramener aux carrières de l’ignorance et au fortuné règne de la cadence et de la guitare? Ce que ce dernier mot signifie, ai-je besoin de l’expliquer? On appelle guitare dans l’école tout ce qui ressemble à de la mélodie : Voi che sapele, Casta diva, sont des guitares, le Mariage secret, le Barbier, la Dame blanche, le Pré aux Clercs, Rigoletto, guitares, guitares, guitares! Renier ce qu’on n’a pas et ne peut avoir est une pratique qui malheureusement date de loin, les renards ne l’eussent point inventée que les ennemis de la mélodie l’auraient tout de même érigée en principe; dire que les raisins sont trop verts quand on n’y peut atteindre, quoi de plus commode?

« L’oreille est un mouton, disait Goethe, elle supporte tout; » il faut que cet aphorisme contienne un grain de vérité, puisque des opéras comme le Roi de Lahore parviennent à se faire écouter pendant quatre heures : la symphonie, et puis encore la symphonie ; il y a des momens où vous croiriez que c’est une gageure, tant ce parti-pris instrumental s’affirme avec ténacité. Ce tapage sous toutes les formes, ce miroitement kaléidoscopique de timbres commence par vous éblouir; bientôt pourtant l’ennui vous gagne et l’on se demande si retourner à Boïeldieu ne serait point aujourd’hui le vrai progrès. L’orchestre de M. Richard Wagner commente le drame, c’est du moins ce qu’on nous raconte; habile à systématiser ses défaillances, l’auteur de Tristan und Iseult et du Rheingold leur donne pour prétexte sa doctrine; mais l’orchestre de M. Massenet ne commente rien et n’obéit qu’à la fantaisie du prestidigitateur. Illumination sur toute la ligne, fusées, soleils, flammes du Bengale,