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année, simplement pour maintenir l’ordre. Le crédit se maintient encore; à la longue il fera défaut. Alors une révolution est inévitable; je ne puis imaginer qu’il en résulte quelque chose de bon. »

Cette fois, se dira-t-on, cet observateur, sagace d’habitude, s’est trompé. Ce n’est point en effet par la banqueroute que le régime de 1856 a pris fin. Aussi bien que les états de l’Amérique du Nord, les nations européennes se sont toutes accommodées, plus ou moins, d’une dose de liberté dont notre républicain les jugeait incapables. Le système de compression militaire a disparu peu à peu sans que la révolution prît la place qu’il abandonnait. Les peuples de l’ancien monde se sont montrés dignes de vivre sous des lois constitutionnelles; ils ne sont point, sous ce rapport, aussi inférieurs aux peuples transatlantiques que Ticknor le supposait. Au surplus, en traversant le Piémont au printemps de 1857, il y constate déjà une vitalité, une énergie qui contrastent avec ce qu’il y a vu jadis, avec ce qu’il vient de voir dans le reste de l’Italie. Cette défiance de notre aptitude à supporter un gouvernement libre date de loin chez lui ; on se souvient de ce qu’il en a dit autrefois. Il a bonne opinion du petit royaume de Sardaigne, sans doute parce qu’il y trouve à l’œuvre le comte Cavour, qui a infusé une vie nouvelle à son pays. A son avis, c’est l’homme d’état le plus distingué de l’Italie. Il cause avec agrément et animation ; ses opinions sur toutes choses sont élevées, peut-être mal définies quelquefois, son attitude est naturelle, sans solennité. Il a un œil vigilant, comme lord Melbourne, et une oreille qui ne laisse rien perdre. Les affaires de l’état ne l’empêchent pas de rechercher la compagnie des hommes lettrés. C’est un grave changement, observe Ticknor, dans les habitudes du gouvernement piémontais.

Si notre Américain désespère ailleurs de la politique européenne, c’est sans doute parce qu’il s’aperçoit que ceux qu’il aime et qu’il estime le plus sont obligés de vivre à l’écart des affaires publiques. La société française était en effet bien différente de ce qu’il l’avait laissée aux premiers temps du règne de Louis-Philippe. Il retrouvait, il est vrai, le duc de Broglie, Guizot, Tocqueville, Villemain, puis aussi quelques-uns des personnages du parti légitimiste qui l’avaient accueilli avec bienveillance à ses voyages précédens; mais Paris est bien morne au mois de juin, et la vie de château, même au Val-Richer ou à Gurcy, lui paraît presque triste en l’absence de ces discussions politiques dont il avait jadis apprécié le charme. On se défie toujours un peu d’un vieillard qui fait l’éloge du passé. N’y a-t-il pas cependant quelques traits exacts dans la comparaison qu’il en fait au désavantage de l’époque actuelle?

« Les traditions de la vieille société nui rendaient Paris si agréable sont déjà de l’histoire ancienne. Je l’avais connue en 1817 dans le