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dans la composition de ce grand ouvrage quelque chose d’américain. Ce n’était pas pour les érudits seulement qu’il écrivait, le nombre en est trop faible au-delà de l’Atlantique; il voulait se mettre à la portée de la masse des lecteurs et surtout donner un tableau de la littérature espagnole qui fût en même temps la peinture des mœurs, du caractère espagnols. Ce livre, objet d’une si longue étude, fut publié en 1851 et accueilli avec faveur dans les deux mondes ; on le traduisit presque aussitôt en français, en allemand, en espagnol. Ticknor put goûter dès lors les charmes de la réputation littéraire.


II.

La création d’une grande bibliothèque publique avait souvent été un grave souci pour cette petite société de littérateurs et de savans que contenait la ville de Boston. La bibliothèque de Harvard Collège et celle de l’Athenæum, toutes deux assez bien garnies, n’étaient fréquentées l’une et l’autre que par un public restreint. A New-York, un legs important de Jacob Astor avait permis d’en fonder une dont on avait beaucoup parlé. On se disait que, faute de livres à offrir aux gens qui veulent s’instruire, Boston perdrait bientôt la suprématie intellectuelle dont elle avait joui dans les temps passés.

Raconter la vie d’un Américain est une occasion naturelle de montrer en quoi les idées ou les institutions de l’Amérique diffèrent de nos idées ou de nos institutions. Personne n’ignore que les bibliothèques publiques de l’Europe sont des lieux d’études sérieuses, presque des musées, où se conservent avec soin des livres précieux par leur ancienneté ou par leur mérite intrinsèque. Ces établissemens, trop mal dotés d’ailleurs pour être en mesure d’acquérir beaucoup de livres nouveaux, ne semblent pas destinés à ceux qui ne voient dans la lecture qu’une distraction. Aux États-Unis, il en est tout autrement. On dirait que la commune ou l’état, après avoir assuré l’éducation primaire de tous les citoyens, se croit encore obligé de leur fournir des sujets de lecture, afin que personne ne soit excusable de perdre l’instruction acquise. Voyons en effet ce qu’est aujourd’hui la bibliothèque de Boston, dont nous dirons tout à l’heure les commencemens. Au bout de vingt-cinq ans, elle possède déjà 300,000 volumes avec un budget annuel de plus de 500,000 francs. Installée dans un bel édifice construit pour cet usage, elle offre au public deux salles, l’une où tout le monde est admis, l’autre réservée à ceux qui veulent travailler en repos. Tout habitant de la ville, par cette seule raison qu’il paie les taxes municipales, a le droit d’emporter à son domicile les volumes qu’il a choisis,