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Cette question est souvent traitée dans les lettres que Ticknor adresse à ses correspondans européens. À son avis, il n’y a qu’un moyen de terminer cette mauvaise affaire, c’est que le peuple arrive à se bien convaincre qu’il est de son intérêt de payer au plus tôt, et par conséquent qu’il est de son devoir de s’imposer les sacrifices nécessaires pour obtenir ce résultat. Il compte que cela viendra, sinon tout de suite, au moins à bref délai. « Souvenez-vous, écrit-il à sir Charles Lyell, que nous ne réussissons en quoi que ce soit que par la boîte du scrutin et par le suffrage universel. » Toute la question est de savoir si le peuple sera sage et honnête. Il en est persuadé. « Le peuple est roi dans la Nouvelle-Angleterre, plus vraiment roi qu’il ne l’a été nulle part sur la terre depuis l’époque des sauriens et des ichthyosaures qui composaient sans contredit une pure démocratie. » La seule difficulté est de lui faire comprendre où est son véritable intérêt ; à peine l’a-t-il compris, qu’il arrive à la rescousse avec une vigueur dont on n’a nulle idée dans les sociétés européennes où le pouvoir se partage entre des gouvernemens et des masses populaires qui ne connaissent rien. Ticknor se rappelle ce que Metternich lui a dit, que dans une démocratie on souffre d’un mal avant d’y appliquer le remède. C’est exact, on n’y connaît pas la législation préventive ; mais au fond le peuple ne supporte pas le déshonneur, et, s’il réussit à se tirer d’embarras dans ces questions secondaires, ne doit-on pas avoir confiance en lui dans les affaires plus graves ? Burke a dit avec raison qu’il est toujours injuste de faire le procès à une nation tout entière. Si elle se trompe quelquefois, du moins elle ne commet jamais d’erreurs fatales, et, lorsqu’elle s’est guérie elle-même, elle est comme l’homme malade qui se rétablit d’une grave maladie avec une constitution améliorée par le traitement qu’il a suivi.

Ne nous y méprenons point cependant. Ce républicain sincère, convaincu des bienfaits de la démocratie, reste imbu de l’idée que son pays natal est seul capable d’en profiter. Et pourquoi ? C’est qu’il y a aux États-Unis, dans la Nouvelle-Angleterre en particulier, un principe qui sauvegarde tout, l’instruction universelle. L’éducation de tous les enfans est une charge de la communauté des habitans. L’instruction universelle est une mesure de police morale et politique qui protège les riches aussi bien que les pauvres. De là les idées saines et religieuses de la population, de là son aptitude à gérer les affaires publiques. Il est inutile qu’il y ait des grands hommes pour conduire le gouvernement d’un grand pays. Voyez ce que furent les fondateurs de la constitution des États-Unis ; ils avaient peu de talent, peu de savoir, peu d’habileté ; on ne rencontre pas dans l’histoire d’assemblée plus honnête, plus pénétrée