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Cela dépasse les forces d’un parlement; c’est trop gros pour lui. Ce problème se résoudra de lui-même par sa propre gravité, et non par des artifices d’invention humaine. Enfin, moi, homme du nord, je veux attendre parce que c’est mon intérêt. Le sud s’affaiblit, nous nous fortifions. Non-seulement les états du sud perdent de leur importance relative dans l’Union, bien plus ils deviennent pauvres. Ils perdent en civilisation, en puissance, en raffinement. Chaque année nous donne un avantage de plus, nous prépare à mieux soutenir la lutte, qui sera d’autant plus douce qu’elle sera plus longtemps ajournée, mais qui ne peut être en tout cas que formidable et désastreuse.

« Cependant je ne redoute pas la lutte par crainte du résultat. Il ne peut y en avoir qu’un seul. L’esclavage sera aboli : si bientôt, avec beaucoup de sang; si plus tard, sans qu’il y ait de sang répandu, je l’espère. Dans l’un ou l’autre cas, que deviendront ces pauvres esclaves? Le sort le plus doux qu’ils puissent obtenir est celui des Indiens, et je leur en prévois un plus rigoureux. La race active et entreprenante à laquelle nous appartenons ne souffrira pas que ces tribus molles et paresseuses encombrent la terre dont elle ne sait tirer parti. Ne vous méprenez pas sur mes sentimens. Je suis pour l’abolition universelle de l’esclavage. Bien qu’il en doive sortir de grands maux, le résultat sera avantageux en définitive. Procédons au moins par les moyens les plus sages... n’oublions pas non plus que la condition des maîtres, à la bien considérer, est à peine plus enviable que celle de leurs serviteurs. »

L’homme de bien dont on raconte ici la vie avait une noble qualité, l’horreur des procédés violens, — sans doute parce qu’il ne cessait d’éprouver une mâle confiance dans la sagesse de ses compatriotes. Une autre question, presque aussi grave que celle de l’esclavage, quoique plus transitoire, agitait alors le monde américain. Il était survenu, dans les états du sud et de l’ouest notamment, une crise monétaire. Dans l’Indiana et dans l’Illinois entre autres, l’argent monnayé faisait défaut à tel point que le commerce ne s’opérait plus que par échange, même pour les objets de consommation courante. Les bureaux de poste conservaient les lettres adressées à de riches fermiers, parce que les destinataires n’en pouvaient payer le port qu’en marchandises que les employés refusaient d’accepter. Les dettes des états ne s’élevaient qu’à 25 millions de dollars environ, somme peu considérable; les impôts étaient faibles. Néanmoins cinq ou six états se virent dans f impossibilité de payer les rentes à leurs créanciers. Ceux-ci, Anglais pour la plupart, protestèrent avec énergie, accusant les états de répudier leurs dettes par mauvaise foi. L’accusation était injuste assurément ; enfin il fallait sortir de cette situation.