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sont de caractère à faire honneur à quelque société que ce soit.

Dès cette époque, l’esclavage était la plus grosse question qui se pût discuter aux États-Unis. On le sait, les Américains s’étaient fait sur ce point en quelque sorte une morale à part, que l’Europe ne voulait point comprendre. Ticknor s’en était aperçu plus d’une fois pendant son séjour en Europe. Ainsi il écrivait de Dresde à son ami Prescott, le 8 février 1836 : «Vous ne sauriez croire combien il est difficile et souvent désagréable pour un voyageur américain de répondre aux questions qui lui sont faites à ce sujet et d’entendre les remarques auxquelles il donne lieu. Des étrangers ne discernent pas la complication causée par nos lois constitutionnelles ou par nos conventions locales. Une fois ou deux, ici ou en Angleterre, j’ai eu occasion de traiter la question à fond avec des individus intelligens qui se sont montrés satisfaits. En général, le fait brutal de l’existence d’une population esclave, sous un gouvernement fondé sur l’égalité des droits, avec la circonstance aggravante que les états libres seraient blâmés de rien faire pour une émancipation immédiate, ce fait est tout ce qu’on en saisit. Sur l’un et l’autre point, on nous condamne en des termes qui vous étonneraient si vous étiez ici. C’est fâcheux, car bien des gens sont disposés par esprit conservateur à trouver mal tout ce que nous faisons... Cette opinion de l’Europe pourrait produire quelque chose de bon ; par exemple si les états du sud y étaient sensibles. Il vaut mieux que le reproche leur en vienne du dehors que de la Nouvelle-Angleterre. Je n’ai pas besoin de vous dire combien ce sentiment est développé dans la Grande-Bretagne; vous voyez que sir Robert Peel, O’Connell, le Standard et le Morning Chronicle font chorus, les tories parce qu’ils nous détestent, les whigs parce qu’ils veulent être conséquens, surtout depuis qu’ils se sont débarrassés de l’esclavage dans leur colonie des Indes occidentales plus aisément qu’ils ne le pensaient. Il en est de même sur le continent. Le livre si fin de Tocqueville, qui contient sur nous tant de vérités avec quelques erreurs, — Talleyrand prétend que c’est l’ouvrage de ce genre le plus remarquable depuis l’Esprit des lois de Montesquieu, — a exposé la question avec beaucoup d’exactitude, quoique avec beaucoup d’âpreté... De même, les principaux journaux de l’Allemagne répètent ces reproches avec une bonne foi complète; ils sont cause que l’on se moque souvent de nos prétentions à la « liberté. » Cependant, il termine sa lettre en bon patriote : « Malgré tout, en dépit de l’esclavage et des désordres de cet été, — il y avait eu des troubles à New-York, — qu’il nous est difficile d’expliquer, nonobstant certain philanthrope qui nous parle des Cherokees, il est encore bon d’être Américain. Je n’échangerais pas mon passeport,