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Burnaby l’ordre non-seulement de quitter Khiva, mais de revenir immédiatement en Angleterre. Cet incident a fait l’objet d’une demande d’explications dans la séance de la chambre des lords du 12 mars 1877.

Au nord de l’Oxus, tous les voyageurs sont considérés comme des espions anglais, et au sud du fleuve comme des espions russes. Ce ne doit pas toujours être à tort : en 1866, lorsque l’Afghanistan était en révolution et que la Russie était en guerre avec Mozaffer-Eddin, khan de Boukhara, le gouverneur-général du Turkestan envoya un agent indigène, Jubal-Khan, porter des assurances de sympathie aux chefs afghans qui venaient de se soulever contre Shir-Ali et de l’expulser de Caboul; au même moment, un lettré hindou, attaché au service civil du gouvernement anglo-indien, s’acheminait vers Boukhara par Djellalabad et Caboul, sous prétexte de négoce, pour étudier la situation des choses en Boukharie. On se surveille donc réciproquement avec une extrême vigilance. Il fallut un ordre exprès du grand-duc Michel pour que le colonel Baker pût visiter le port et la forteresse de Chikislar, que les Russes établissent sur la mer Caspienne, à l’embouchure de l’Attrek. M. Schuyler, bien qu’ayant apporté de Saint-Pétersbourg les plus hautes recommandations, éveillait la défiance des petits fonctionnaires du Turkestan par son désir de tout voir. D’un autre côté, il fut fort surpris de se voir demander un entretien particulier par un Hindou établi dans le bazar de Tashkend et qui l’avait entendu parler anglais. Comme M. Schuyler naturellement ne produisit aucun signe de reconnaissance, la conversation se borna à un éloge de la justice des Anglais et à des plaintes de la mauvaise foi des habitans de Tashkend. Les sentimens des deux armées sont faciles à deviner. Dans son récent ouvrage sur l’Asie centrale, le colonel Terentief parle de la domination anglaise comme d’un chancre immonde sur le beau corps de l’Inde; il regrette que ce chancre n’ait pu être extirpé en 1857, par la révolte des cipayes, et il exprime l’espoir que l’opération sera recommencée avec l’assistance des Russes, et que cette fois elle réussira. Le colonel Baker accuse les Russes de calomnier les Turcomans afin de donner à leurs propres usurpations le vernis d’autant de services rendus à la civilisation. Le capitaine Burnaby demande qu’on organise un soulèvement général des populations asiatiques contre les Russes.

L’attitude réciproque de l’Angleterre et de la Russie est la grande, pour ne pas dire l’unique préoccupation des populations asiatiques. La croyance est universelle en Orient qu’une lutte entre les deux empires est inévitable et prochaine. Le colonel Baker a pu le constater pendant le voyage d’exploration qu’il a fait dans le nord de la Perse en 1873. Le colonel n’a pu se rendre à Merv et à Hérat,