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russe, comme autrefois la domination chinoise, apportera à ces contrées la paix, la tranquillité matérielle, la sécurité des personnes et des propriétés, la liberté des routes. Les caravanes seront plus nombreuses et feront des voyages plus fréquens, la population croîtra dès qu’elle ne sera plus mise en coupe réglée par un despotisme sans souci de la vie humaine. Il suffira de relever les barrages renversés, de déblayer les canaux obstrués ou comblés pour rétablir l’admirable système d’irrigation dont les traces sont partout visibles, et pour rendre à l’agriculture la plus grande partie des terres envahies par le sable. M. Schuyler rend témoignage de l’état florissant dans lequel il a trouvé les colonies de paysans russes établies dans la Sibérie occidentale. Quelques années ont suffi à transformer des districts entiers, à y développer la culture des céréales et à y faire naître le commerce. Pourquoi les mêmes résultats ne seraient-ils pas obtenus dans le Turkestan, lorsque la Russie aura eu le temps d’y introduire le même système de colonisation?

L’humanité et la civilisation n’ont qu’à s’applaudir des progrès de la puissance russe en Asie. Une domination humaine et éclairée est substituée à un despotisme sanguinaire et cupide. Ce ne sont pas seulement les produits européens qui pénètrent en Asie à la suite des soldats et des fonctionnaires russes, ce sont aussi les arts, les habitudes et, peu à peu, les idées de l’Occident. Tashkend est demeurée le siège du gouvernement : sa position centrale la destinait à ce rôle. En quelques années une ville européenne est sortie de terre, à côté de la ville turque, autour du palais et des magnifiques jardins du gouverneur-général. L’hiver, on habite les maisons; mais l’été venu, chacun se transporte dans son jardin, au bord du Tchirtich, et s’y fait dresser une grande tente en feutre, sur le modèle de celles des Turcomans, qui peuvent se diviser en compartimens. Ces abris légers sont impénétrables au soleil : le voisinage de l’eau procure quelque fraîcheur, et il suffit de relever quelques draperies pour profiter du moindre souille d’air. Tous les voyageurs, le colonel Baker aussi bien que M. Schuyler, reconnaissent qu’il n’est point d’habitation préférable à ces tentes de feutre pour braver les ardeurs d’un été asiatique.

Le gouverneur-général vit entouré d’un faste royal : il se fait traiter comme un souverain. S’il sort, c’est à cheval ou en carrosse, précédé et suivi d’un nombreux et brillant état-major : la voiture de sa femme et de ses filles est toujours accompagnée par une escorte de cavalerie. S’il rentre à Tashkend après une absence, on dresse sur sa route des arcs de triomphe et des trophées, on tire des salves d’artillerie, et on célèbre son heureux retour par des réjouissances publiques et des feux d’artifice. Les indigènes se prosternent sur le passage de l’yami-padicha (le vice-empereur), Si de tels honneurs