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les infidèles, le khan a encore été obligé de les écraser de taxes pour payer la contribution de guerre qui lui a été imposée. Pour comble de malheur, il s’est vu enlever, en 1875, une partie notable de ses ressources. Il considérait comme ses vassaux les Turcomans qui fréquentent les bords de la mer Caspienne, et il percevait sur eux un tribut. Un ukase, motivé sur la nécessité d’assurer une protection efficace aux colonies russes nouvellement établies sur la côte asiatique de la mer Caspienne, a déclaré territoire russe et érigé en gouvernement-général toute l’étendue de steppes comprise entre l’Emba et l’Attrek. Les Turcomans, qui y font paître leurs troupeaux, sont désormais réputés sujets russes, et c’est à la Russie qu’ils devront payer tribut. Le khan de Khiva, placé entre le mécontentement croissant de ses sujets et la crainte de ne pouvoir remplir ses engagemens, a demandé, dans le courant de 1876, à échanger ses états contre une pension. Le réveil de la question d’Orient et l’appréhension de précipiter un conflit avec l’Angleterre ont seuls empêché le gouvernement russe de consommer l’annexion de Khiva ; mais cette solution n’est que différée, et le jour n’est pas éloigné où Mohammed-Rahim ira rejoindre Khudayar à Orenbourg.


III.

Que vaut cet empire si rapidement créé? La Russie trouvera-t-elle dans la possession de l’Asie centrale la compensation des sacrifices d’hommes et d’argent qu’elle a faits pour conquérir cette immense région, et qu’il lui faudra faire encore pour la maintenir sous le joug ? Un observateur intelligent et désintéressé a émis des doutes sérieux à cet égard. M. Eugène Schuyler, qui appartient à l’une des familles les plus anciennes et les plus considérables de l’état de New-York, a représenté pendant plusieurs années les États-Unis à Saint-Pétersbourg. Possédé d’un goût très vif pour l’archéologie et la numismatique, il a consacré la plus grande partie de l’année 1873 à parcourir l’Asie centrale, et, à l’exception de Khiva, il n’est aucune ville importante qu’il n’ait visitée. La protection empressée des autorités russes a aplani devant lui tous les obstacles et lui a ouvert toutes les portes. Parlant le russe et ayant une teinture des langues orientales, préparé à ce voyage par la fréquentation assidue de tous les savans russes qui se sont occupés de l’Asie, il a pu voir plus vite et mieux que personne. La relation de son voyage, publiée à Londres en 1876, n’est point une œuvre littéraire, mais elle est remplie d’observations, de faits et de chiffres puisés aux sources les plus sûres, et elle contient un tableau fidèle de l’administration russe en Asie. Cela eût suffi pour en assurer le succès ; les événemens politiques sont venus lui donner un surcroît