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signé : A. REGNARD. Le tout agrémenté de trois timbres, dont deux rouges et un bleu. Au lieu de mettre la main sur l’individu désigné, on s’empara, au coin de la rue de Rivoli et de la place de l’Hôtel de Ville, d’un membre du comité central, nommé Alphonse Ducamp, dont l’existence avait jusque-là été ignorée de son homonyme et qui fut écroué au dépôt de la préfecture de police, où Th. Ferré vint lui annoncer qu’il serait fusillé le lendemain. L’approche de l’armée française permit à ce malheureux de s’évader. Nous avons pu signaler cette erreur, dont la preuve est entre nos mains, mais combien d’autres, qui peut-être ont eu un dénoûment funeste, sont et resteront inconnues !

Ainsi que nous l’avons dit, chacun, jouant au dictateur, emprisonnait sans scrupule, et tenait à honneur de remplir les geôles : mais, entre tous, deux hommes, qu’il faut faire connaître, ont recherché les premiers rôles dans cette tragi-comédie burlesque et sanglante. Tous deux, sans foi ni loi, sans esprit ni cœur, sans autre énergie que celle qui résulte d’une absence radicale de moralité, sans autre instruction que celle que l’on ramasse dans les brasseries et les cabarets, ont été les metteurs en œuvre de la plus basse expression des illégalités sauvages de la commune. L’un est Raoul Rigault, l’autre est Théophile Ferré, deux jeunes gens de vingt-cinq ans environ, deux galopins sinistres, qui firent le mal pour le mal. Raoul Rigault était un lourd garçon, débraillé, de chevelure et de barbe incultes, solide des épaules, bas sur jambes, myope, l’œil ferme, le nez impudent, la bouche sensuelle, assez épris du bon vin, parlant, criant, gesticulant à tout propos, se bourrant de tabac à priser entre chaque phrase, étonnant les novices par sa faconde, presque célèbre dans le quartier des Écoles et fort apprécié des filles de bas étage. Demi-étudiant, demi-journaliste, sans courage au travail, sans talent d’écrivain, répétant comme vérités sublimes toutes les niaiseries ramassées dans l’Ami du peuple et dans le Père Duchêne, il passait pour fort parce qu’il était grossier, pour énergique parce qu’il était cruel, pour intelligent parce qu’il était hâbleur. Quelques condamnations, « obtenues, » vers la fin de l’empire, pour des articles publiés dans une de ces petites feuilles éphémères que l’on appelait alors les journaux « de la rive gauche, » lui permirent d’être un peu « martyr » et de rêver des vengeances prochaines, au nom de ses principes outragés par « les sicaires de la tyrannie. » Il était le promoteur de toutes les minces émeutes du quartier latin, des troubles d’amphithéâtre, racolait des turbulens, et, menaçant du doigt ceux qui n’écoutaient pas ses injonctions, il leur disait : « Toi ! j’aurai ta tête. » Il avait inventé un nouveau mode de justice qu’il appelait « le jugement par les impairs : » les pères eussent été jugés par