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Il délivra ensuite la province d’Yarkand, puis celle de Khotan, réunissant ainsi sous sa domination tout le Turkestan oriental, à l’est jusqu’au désert de Gobi, et au sud jusqu’aux monts Kuen-Iuen, c’est-à-dire jusqu’au petit Thibet. Partout la population chinoise fut contrainte d’émigrer ou d’embrasser l’islamisme. Yakoub-Khan fit également reconnaître son autorité par les tribus des Kara-Kirghiz qui peuplent les montagnes, et même par le petit état d’Ouakan, où se trouvent les sources de l’Oxus, situé par conséquent sur le versant occidental, et tributaire jusque-là des Afghans. Remontant ensuite vers le nord, il profita des dissensions des chefs dunganis pour les soumettre à sa domination, s’empara de Karashar, Kutché, Amritsi et des autres villes de la Mongolie musulmane, et il se préparait à envahir et à annexer à ses états la province de Khuldja, lorsque les Russes se hâtèrent de l’y devancer en occupant militairement le pays au nom du gouvernement chinois.

La création d’un grand état musulman dans le Turkestan devait d’autant plus porter ombrage à la Russie que le fanatisme religieux est le principal obstacle à l’affermissement de la domination russe dans l’Asie centrale. Les gouverneurs-généraux de la Sibérie et du Turkestan refusèrent, pendant plusieurs années, de reconnaître Yakoub-Khan, sous prétexte que les Chinois étaient les alliés des Russes et devaient être considérés par ceux-ci comme les légitimes propriétaires de Kashgar jusqu’à ce qu’ils eussent cédé ou abandonné leurs droits. De plus, en 1868, les Russes construisirent sur la rivière Narym, affluent principal du Syr-Daria, à 30 milles d’une des passes par lesquelles on descend dans le Kashgar, une forteresse importante qui pouvait servir de place d’armes pour une campagne d’invasion. De son côté, Yakoub-Khan, ne cachant pas sa haine pour les Russes, interdisait l’entrée de son territoire aux sujets russes et faisait arrêter à la frontière les caravanes qui venaient, soit de la Sibérie occidentale, soit des autres possessions de la Russie. En même temps, il formait une armée de 40,000 hommes, infanterie, cavalerie et artillerie, dont il confiait l’instruction à des Polonais, déserteurs de l’armée russe, ou à des officiers indigènes de l’armée anglo-indienne. Il établissait à Kashgar un arsenal et de grands ateliers pour la fonte des canons, la fabrication des fusils et des munitions de guerre. Désireux en même temps d’enlever à la Russie les prétextes dont elle s’est invariablement servie pour chercher querelle aux autres souverains du Turkestan, à savoir la suppression du commerce des esclaves et la délivrance des sujets russes retenus en captivité, Yakoub-Khan eut soin d’abolir la servitude et d’interdire aux marchands d’esclaves l’entrée de ses états.

Ce n’était pas là seulement une précaution contre la Russie, c’était