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qu’à l’intérieur de Paris[1]. À cette masse, déjà fort imposante, on doit ajouter vingt-huit corps francs, fort libres d’allures, agissant selon la fantaisie du moment et n’obéissant à personne. Leur contingent fort variable s’élevait, vers le milieu du mois de mai, au chiffre de 10,820 partisans, guidés par 510 officiers. Il y eut là des gens de toute provenance et de toute catégorie, qui choisissaient les dénominations les plus extravagantes : turcos de la commune, éclaireurs de Bergeret, enfans de Paris, enfans du père Duchêne, enfans perdus, lascars, tirailleurs de la Marseillaise, volontaires de la colonne de Juillet et vengeurs de Flourens, que le peuple appelait invariablement, — ô foule ingrate ! — les vengeurs de Florence.


III. — LES HÉBERTISTES.

Au lendemain d’une insurrection victorieuse, toujours faite au nom de la liberté, nul ne se dit : « Je suis libre, » mais chacun dit : « Je suis le maître. » Il y a longtemps que Lamennais a énoncé cette vérité, lorsque, dans ses Pensées, il écrivait en 1841 : « Nul ne veut obéir et tous veulent commander. Demandez au républicain son secret : son secret est le pouvoir, le triomphe de son opinion et de son intérêt ; il se dit : Quand je serai roi ! c’est là sa république. » Les gens de la commune ont à cet égard dépassé toute limite ; chacun s’était emparé d’une portion de l’autorité brisée entre les mains du gouvernement légal, et, sous prétexte de se montrer révolutionnaire, agissait à la façon des proconsuls. Comme dans la Curée, d’Auguste Barbier, le plus mince porteur de galons pouvait dire : « Voilà ma part de royauté. » Cette part de royauté était toujours employée à des actes arbitraires, à des arrestations, dont le plus souvent les motifs échappent à toute perspicacité. Cela éclate avec évidence lorsque l’on parcourt le registre d’écrou du dépôt près la préfecture de police. Il y a émulation parmi tous ces maîtres, chacun veut signer son papier, appliquer son cachet et faire acte dictatorial. On reste surpris à voir la quantité et même la qualité des individus qui s’arrogent le droit de supprimer toute liberté individuelle. Aucun des membres du comité central et des membres de la commune ne se faisait faute de parapher des lettres de cachet ; les délégués au ministère, le commandant de la place de Paris, le commandant de chaque arrondissement, le procureur de la commune et

  1. D’après un renseignement que l’on peut croire exact, les arsenaux, lors du désarmement de Paris, à la fin de mai de 1871, auraient reçu 285,000 fusils Chassepot, 190,000 fusils dits à tabatière, et 14,000 carabines Enfield : donc près de cinq cent mille armes à feu et à répétition.