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que ne le pouvaient les verbeux et éclatans discours du héros de l’indépendance Américaine.

C’est ainsi que fut définitivement et résolument close la crise du procès des ministres, par la victoire de la charte de 1830 et la défaite des dangereuses et vagues utopies de l’Hôtel de Ville dont le général de Lafayette s’était fait le champion sans en saisir tous les dangers. Le règne de Louis-Philippe était destiné à connaître d’autres épreuves. Dès ce moment, on pouvait les prévoir, mais aussi les attendre sans faiblesse, car les péripéties de la première, la plus redoutable, venaient de mettre en évidence le courage du roi et de sa famille et la fermeté des hommes ralliés sans arrière-pensées à sa cause devenue la cause de tous les Français épris au même degré de sécurité et de liberté.

Au moment même où par la nomination du comte de Lobau se dénouait la crise, le 28 décembre, à deux heures du matin, les anciens ministres de Charles X quittaient le château de Vincennes pour être dirigés sous bonne escorte sur le fort de Ham, où ils devaient subir leur peine. Ils firent le voyage dans deux voitures. Le prince de Polignac et M. de Chantelauze occupaient la première avec le commandant de Ham; MM. de Peyronnet et de Guernon-Ranville avaient pris place dans la seconde avec le colonel Ladvocat et l’un des aides-de-camp du ministre de la guerre. Grâce aux mesures prises pour protéger leur route, le voyage s’accomplit paisiblement. On n’eut d’alerte qu’à Compiègne, où l’attitude de la population obligea les conducteurs à traverser la ville au galop.

La captivité des condamnés dura six ans et ne laissa pas d’être rigoureuse. Pressée d’y mettre un terme, c’est seulement au mois de novembre 1836 que la clémence royale, retenue jusque-là par d’implacables nécessités politiques, put accorder leur grâce aux quatre ministres, sans leur imposer d’autres conditions que celles d’une retraite absolue, aggravée pour M. de Polignac d’un bannissement de vingt ans, justifié par la peine de la mort civile prononcée contre lui. Ils vécurent dès ce moment obscurs et ignorés, M. de Chantelauze à Lyon, où il s’éteignit en 1859, M. de Peyronnet à Montferrand, près de Bordeaux, où une attaque d’apoplexie l’enleva en 1854 ; M. de Guernon-Ranville aux environs de Caen. Des quatre principaux acteurs du drame de 1830, M. de Guernon-Ranville était le plus jeune. Il disparut le dernier en 1866. M. de Polignac avait précédé ses collègues dans la tombe en 1847, à Saint-Germain, oublié déjà comme eux, aussi bien oublié que les passions déchainées par son imprudence et son aveuglement, et dont il fut la plus illustre victime après le roi Charles X.


ERNEST DAUDET.