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donjon de Vincennes annonçait au roi et aux ministres que les anciens conseillers de Charles X étaient en sûreté, à l’abri des murailles du vieux donjon et de la vaillante épée du général Daumesnil, quand la population de Paris les croyait encore enfermés dans la prison du Luxembourg.

Au cours de ce dramatique incident, tandis qu’autour du palais la garde nationale et la police contenaient les flots pressés d’une population arrachée à toutes ses habitudes, exigeante et cruelle comme les foules, la cour des pairs, retirée dans la salle du conseil, délibérait. Sa délibération fut laborieuse. Le président dut interroger successivement tous les juges sur chacun des accusés. Cent trente-six voix contre vingt-quatre les proclamèrent tous les quatre coupables de trahison. En dépit du réquisitoire, la cour avait décidé qu’il n’y aurait que cette seule question posée et que les autres chefs d’accusation seraient abandonnés. L’application de la peine fut longue à déterminer. En ce qui touchait le prince de Polignac, cent vingt-huit voix se prononcèrent pour la déportation, vingt-huit pour la prison perpétuelle, accompagnée de l’interdiction légale, et quatre seulement pour la peine de mort. Ces quatre voix ne se retrouvèrent pas pour les autres accusés, contre lesquels la majorité décréta la détention perpétuelle et la minorité la déportation. Quand les votes eurent été recueillis, le président se retira pour rédiger le jugement, après avoir fixé à dix heures du soir l’ouverture de la séance dans laquelle il en serait donné lecture. C’est pendant cette longue délibération présidée par le baron Pasquier avec un calme et un courage qui ne s’étaient pas démentis un jour durant ces longs débats que fut prononcée une parole qui témoigne de l’intrépidité dont les juges étaient animés. L’un d’eux crut entendre tout à coup une formidable détonation ; c’était peut-être celle qui annonçait l’arrivée des anciens ministres à Vincennes. Il se pencha vers son voisin en disant : — Entendez-vous le canon ? — Eh ! mon cher collègue, répliqua ce dernier, qu’a de commun le canon avec la délibération qui nous occupe?

A l’heure indiquée, sans tenir compte des clameurs de l’émeute que la garde nationale et la ligne avaient refoulée peu à peu jusqu’au carrefour de Buci d’un côté et jusqu’au Pont-Neuf de l’autre, les pairs montaient sur leurs sièges. Devant les places des accusés restées vides, les défenseurs occupaient leur banc. Les tribunes étaient pleines, car la plupart des spectateurs ne les avaient pas quittées, afin de ne rien perdre des émotions de la journée. Le baron Pasquier, pressé de clore ce solennel procès, se leva dès que tous les juges eurent pris séance et donna lecture d’un long jugement précédé de quatre considérans, lequel déclarait Auguste-Jules-Armand-Marie, prince de Polignac, Pierre-Denis, comte de