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était animée. Sans manifester d’ailleurs aucune inquiétude, le ministre, s’étant plaint des modifications apportées aux ordres convenus, n’obtint que cette réponse : — Les gardes nationaux ont demandé à être chargés de veiller à la sécurité des accusés. J’ai cru devoir faire droit à leur patriotique réclamation. On ne pouvait leur refuser une place d’honneur[1].

M. de Montalivet s’éloigna; puis, avec l’esprit de résolution qui lui était propre, il s’arrêta au parti de procéder par l’audace et d’agir seul avec les ressources dont il disposait. Il avait auprès de lui, à défaut de M. Odilon Barrot, qui était retourné à l’Hôtel de Ville, où sans doute il jugeait sa présence nécessaire, le général Fabvier, ancien chef de palikares pendant les guerres de Grèce, caractère aventureux, affamé de popularité, mais honnête et vaillant soldat, les colonels Ladvocat et Feisthamel, qui, bien qu’appartenant au parti avancé de la révolution, étaient hommes à remplir bravement un grand devoir. C’est sur les deux colonels qu’il compta, à eux qu’il fit part de ses projets. Préalablement il écrivit à M. Laffitte pour connaître son avis. « Le conseil n’est pas en nombre et ne saurait délibérer, répondit le chef du cabinet; mais il a confiance en vous. Agissez suivant votre inspiration. » La voiture de M. de Montalivet était demeurée à ses ordres; il l’envoya à la porte de la geôle dans la rue de Vaugirard. Le général Fabvier et les cavaliers sous ses ordres allèrent également attendre dans une cour qui précédait cette porte, tandis que M. de Montalivet se rendait à la prison afin de se faire remettre les anciens ministres; mais là une autre difficulté l’attendait. Le concierge réclama la levée de l’écrou. M. de Montalivet, à qui cette pièce manquait, déclina son nom et ses qualités; néanmoins le concierge refusa de lui confier les prisonniers. — Si vous ne cédez pas à mes instances, reprit le ministre, vous céderez à la force. — Soit, mais alors donnez-moi reçu sur le registre et veuillez y déclarer que je n’ai obéi qu’à la violence. — Le ministre signa cette déclaration; puis il descendit avec les quatre accusés, les fit défiler sous les yeux d’une escouade de grenadiers de la garde nationale, réunis dans la cour qu’il fallait traverser, et qui paraissaient animés d’intentions malveillantes. Il atteignit ainsi sa voiture, dans laquelle ils prirent place avec MM. Ladvocat et Feisthamel. Lui-même monta le cheval d’un sous-officier de chasseurs, et se mit à la tête du cortège, ayant à ses côtés le général Fabvier. Puis il se dirigea rapidement sur Vincennes par les boulevards extérieurs et en évitant le faubourg Saint-Antoine. Il eut le bonheur d’accomplir sa courageuse mission sinon sans angoisses, du moins sans accidens, et à six heures, un coup de canon tiré du

  1. Mémoires inédits.