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C’est en vue de cette décision, qui devait être prononcée le lendemain, qu’il s’agissait maintenant d’aviser. Depuis l’ouverture des débats, le comte de Montalivet, dans une circulaire aux préfets, dans son appel à la garde nationale, dans toutes ses paroles et tous ses actes, avait donné d’heureuses preuves de tact, de prudence et d’intrépidité. Témoin et confident des angoisses du roi, qui, durant ces heures bruyantes, songeait avant tout au salut des accusés dont le sang, à ce qu’il lui semblait, eût déshonoré l’aurore de son règne, le ministre de l’intérieur avait fait de leur sûreté personnelle l’objet de ses ardens efforts; mais le trouble de la journée, les clameurs qu’il avait entendues autour du Luxembourg pendant cette après-midi du 20 décembre, l’exaspération de la foule venaient accroître tout à coup sa responsabilité au moment où l’issue du procès allait déchaîner toutes les passions et tous les périls. Il n’entendait pas décliner cette responsabilité, mais il voulait être assuré du concours de tous ceux qui, placés à ses côtés ou sous ses ordres, avaient le devoir de le seconder. C’est sous l’empire de ces considérations qu’il provoqua, pour le même soir, la réunion d’une conférence dans laquelle devaient être examinées les éventualités de la journée du lendemain. La conférence se tint vers onze heures au palais du Luxembourg[1]. C’est là que se rencontrèrent le général de Lafayette et son fils, le baron Pasquier, président de la cour des pairs, le marquis de Sémonville, grand référendaire, le général Sébastiani, ministre des affaires étrangères, le comte de Montalivet et M. Odilon Barrot. Le maréchal Soult, dont la place eût été naturellement dans ce conseil, se tenait en permanence au ministère de la guerre afin d’être prêt à donner les ordres nécessités par les incidens qui se pressaient d’heure en heure et d’en surveiller l’exécution.

La conférence s’ouvrit sous la présidence du général de Lafayette. Après un exposé de la situation de Paris présenté par le ministre de l’intérieur, et sur la proposition du baron Pasquier, il fut unanimement décidé qu’aussitôt après la clôture des débats engagés devant la cour, et avant que les pairs entrassent dans la chambre du conseil, les anciens ministres seraient immédiatement conduits, par un petit escalier communiquant directement avec le jardin du Luxembourg, jusqu’à des voitures destinées à les ramener à Vincennes, en traversant le jardin uniquement occupé par la troupe de ligne. Le général de Lafayette ne se rallia pas à ce plan sans le discuter avec vivacité. L’occupation du jardin par la ligne et l’exclusion de la garde nationale étaient à ses yeux une injure pour celle-ci,

  1. Ces détails et ceux qui suivent sont empruntés aux Mémoires inédits que nous avons déjà cités.