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pas la populace, qui devinait sinon des encouragemens, du moins des sympathies parmi quelques-uns de ceux qui s’efforçaient de la contenir, de se porter, comme on l’a vu, vers le Luxembourg, dans la journée du 20, de proférer des vociférations contre les ministres accusés et contre leurs juges, d’injurier même ces derniers à l’issue de la séance de la cour des pairs, levée subitement, tandis que le rappel était battu dans tous les quartiers.

À ce moment, la chambre des députés était réunie et discutait la loi relative à l’organisation de la garde nationale. A la nouvelle des attroupemens qui s’étaient formés dans le quartier latin, M. de Kératry interrompit la discussion et interpella le président du conseil des ministres afin de connaître la pensée du gouvernement sur le caractère de l’émeute naissante. Le discours de M. Laffitte eut un ton d’énergie et de courage qui contrastait heureusement avec les proclamations citées plus haut. Il exposa que de vives inquiétudes s’étaient répandues pour le roi, pour la chambre, pour la France, mais qu’elles étaient exagérées. Le gouvernement connaissait ses ennemis, les ennemis de la loi, et ferait son devoir : « Des hommes qui s’inquiètent peu du sort de quatre accusés, dit-il en terminant, mais qui ne peuvent supporter l’ordre, se sont dit que les lois ne seraient pas observées ; ils l’ont dit, et c’est là ce qu’ils veulent. Peu leur importe que tel ou tel individu succombe sous la sévérité de la justice ; ce qui leur importe, c’est d’attenter à l’état de choses existant. Voilà le secret des troubles prémédités, s’ils sont réels. Il faut, messieurs, que la brave population de Paris le sache, on n’en veut pas à l’existence des anciens ministres, mais à l’ordre; or, vous pouvez y compter, le gouvernement protégera l’ordre, parce que, nous le répétons, c’est son devoir. » MM. Dupin aîné et Odilon Barrot, ce dernier par un vaillant et noble langage, bien différent de celui qu’il tenait quand il s’adressait directement au peuple, confirmèrent les assertions de M. Laffitte. « J’ai dévoué ma vie, s’écria M. Odilon Barrot, pour opérer cette révolution que j’ai considérée comme la seule transaction possible entre le pouvoir et la liberté. Je suis prêt à la dévouer encore pour empêcher que la révolution ne soit déshonorée. » M. Guizot, oubliant de récens ressentimens, applaudit aux paroles du préfet de la Seine, et le général Sébastian! acheva de rendre la confiance à la chambre, en déclarant que le gouvernement avait pris les mesures nécessaires à la défense de l’ordre et des lois. L’interpellation de M. de Kératry eut donc le précieux avantage de démontrer qu’en dépit de quelques défaillances plus apparentes que réelles, tous les hommes qui tenaient au gouvernement étaient d’accord pour imposer au pays le respect de la décision solennelle que se préparait à rendre la cour des pairs.