Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la presse était incompatible avec leur gouvernement. C’est là ce qui justifiait M. de Chantelauze. « Il n’est pas de charte sans article là, s’écria l’orateur; quand il n’y est pas, la nécessité peut forcer un jour à l’y mettre. C’est la nécessité qui est l’interprétation vivante des chartes. Il faut toujours un pouvoir prédominant. Cette vérité de l’histoire s’appellera : ostracisme, dictature, lits de justice, et chez nous régime des ordonnances. » Puis il développa cette pensée que, la royauté ayant été frappée, les ministres ne pouvaient plus être responsables. Il demandait donc leur acquittement, au nom de la justice et de la pacification des esprits.

Cette plaidoirie, commencée dans la séance du 19 décembre, ne s’acheva que dans la séance du 20. M. Crémieux, défenseur de M. de Guernon-Ranville, eut alors la parole. Il y avait déjà en faveur de son client une réaction générale. Il ne songea donc qu’à le faire absoudre d’un moment de faiblesse, de cette fatale signature, « erreur de son esprit ou concession de son cœur. » Si M. de Guernon-Ranville avait signé les ordonnances, du moins, loin de les conseiller, il les avait combattues. L’orateur touchait au terme de son discours, quand tout à coup une clameur que dominait le bruit du tambour se fit entendre au dehors ; bientôt on apprenait que le palais était menacé par la populace et qu’on battait le rappel dans les rues de Paris. En même temps, suffoqué par la fatigue ou l’émotion, M. Crémieux s’évanouit; il fallut l’emporter hors de la salle. La séance se poursuivit cependant au milieu d’un certain trouble. La foule, rassemblée dans la rue de Tournon, poussait des cris stridens. Un moment même, elle parvint à forcer les portes de la grande cour, d’où elle fut expulsée par la garde nationale. C’était à l’heure où M. Bérenger répliquait à la défense. Le président recevait du dehors des informations qui lui étaient apportées de minute en minute. Il interrompit soudain le commissaire de la chambre des députés, et dit : — Je suis informé par le chef de la force armée qu’il n’y a plus de sûreté pour nos délibérations. La séance est levée.

Les accusés furent ramenés dans leur prison ; les pairs se retirèrent; mais la foule ne se dispersa que fort tard dans la soirée, et après qu’on eut opéré un certain nombre d’arrestations. Cette foule, qui interrompait ou ralentissait la circulation aux abords du palais, était menaçante. On y remarquait des figures sinistres, des hommes débraillés qui menaçaient du poing les équipages. Plusieurs pairs furent insultés, leurs voitures souillées de terre et de boue. Néanmoins, on n’eut à déplorer aucun accident grave, et la soirée s’acheva paisiblement; mais en prévision de la journée du lendemain, durant laquelle la cour des pairs devait rendre son arrêt, le gouvernement avisait cette nuit même aux mesures à prendre pour