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était un incomparable comédien; mais sa relation traitait d’événemens d’un si puissant intérêt que l’émotion qu’il laissait voir en parlant devait être aussi sincère que celle qu’on ressentait autour de lui en l’écoutant. Il raconta donc comment, le 28 juillet, il s’était rendu à l’état-major où il avait trouvé le maréchal Marmont en proie au plus visible désespoir; comment ayant demandé à voir le prince de Polignac, et ce dernier étant venu, il lui avait parlé « avec une violence qui louchait presqu’à l’outrage » en lui enjoignant d’arrêter l’effusion du sang. « L’élévation de ma voix et de celle de M. d’Argout, dit-il dans son récit, amena dans le salon où nous étions, d’une part les officiers généraux et les officiers de l’état-major qui étaient dans la première pièce, et de l’autre tous les ministres. Dès ce moment l’entretien, la discussion, je ne pourrais pas dire la dispute, devint général. On pria les officiers de se retirer, et nous restâmes avec les ministres. » Dans ce conseil, M. de Polignac, supplié par le témoin de faire cesser les hostilités, se retranchait derrière l’autorité du roi, « toujours avec le même calme et la même politesse. Les autres ministres semblaient être de notre opinion, mais craignaient de la manifester, à ce qu’il nous a paru. » Enfin M. de Polignac demanda à se retirer pour délibérer avec eux. Pendant ce temps, M. de Sémonville et M. d’Argout proposèrent au maréchal d’arrêter les ministres. M. d’Argout se chargeait de faire connaître à la population de Paris la nouvelle de cette arrestation pendant que le duc de Raguse et M. de Sémonville iraient expliquer leur conduite au roi. Les indécisions du maréchal empêchèrent la réalisation de ce projet. M. de Sémonville et M. d’Argout partirent alors, suivis des ministres, pour Saint-Cloud, où ils virent le roi, et le ordonnances furent retirées.

Dans sa déposition, écoutée religieusement, le grand référendaire de la cour des pairs n’avait trahi aucun des détails de son entrevue avec le roi, détails dont il n’était pas question dans sa déposition écrite et qui par conséquent étaient complètement ignorés des juges comme du public. Sur l’observation du président qui fit délicatement allusion au serment de dire « toute la vérité » prêté par le témoin, ce dernier reprit : « Je crois, j’ai toujours cru que les résolutions que je voulais combattre en entrant dans le cabinet du roi étaient personnelles, anciennes, profondes, méditées, le résultat d’un système tout à la fois politique et religieux. Si j’avais eu un doute à cet égard, il aurait été entièrement dissipé par ce douloureux entretien. Toutes les fois que j’ai approché du système du roi, j’ai été repoussé par son inébranlable fermeté; il détournait les yeux des désastres de Paris, qu’il croyait exagérés dans ma bouche, il les détournait d’un orage qui menaçait sa tête et sa dynastie. Je ne suis parvenu à sa résolution qu’après avoir