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les Invalides, avait pour mission d’occuper les ministères de la rive gauche, l’hôtel des télégraphes, et de donner la main à Varlin et à Bergeret, par le Carrousel ou par la place de la Concorde, de façon à commander la rue de Rivoli ; Duval, posté au Panthéon, avait à prendre possession de la préfecture de police, tout en laissant un détachement au parvis Notre-Dame, de façon à favoriser le mouvement de Pindy sur l’Hôtel de Ville, qu’Eudes aurait attaqué après avoir pris la caserne Napoléon, pendant que Brunel s’y serait présenté par la rue Saint-Martin. Ce plan réussit, non pas parce qu’il était habilement combiné, mais parce que Paris, subitement dégarni de troupes, ne recevant plus aucune instruction de personne, ne put opposer aucune résistance. Les fédérés, tout victorieux qu’ils étaient, marchèrent avec beaucoup de prudence : ils n’occupèrent l’Hôtel de Ville, la préfecture de police, leur principal objectif, qu’assez tard dans la soirée, lorsque les chefs de service et la majeure partie des employés s’étaient retirés. Il faut croire que la retraite avait été très précipitée, car un jeune officier d’état-major, resté à Paris, ne put trouver personne, le soir du 18 mars, au ministère de la guerre pour recevoir le mot d’ordre ; un garçon de bureau, qui par hasard le savait, put le lui transmettre. Paris, abandonné par le gouvernement de la France, appartenait au sans-culottisme ; « or, a dit Proudhon, le sans-culottisme est la dépression de la société. »

Dans la dernière quinzaine de février, au moment où l’on s’épuisait en manifestations ridiculement odieuses, un moraliste avait dit : « Ce peuple est malade d’une bataille rentrée ; il faut qu’elle sorte. » En effet elle allait sortir, et pendant plus de deux mois elle devait faire rage. La lutte fut terrible ; on eût pu se croire revenu aux plus mauvais jours des guerres de religion ; on cherchait moins à se vaincre qu’à s’exterminer. Vincenzini noyé, les généraux Lecomte et Clément Thomas assassinés, disaient assez à quoi l’on pouvait s’attendre ; les prévisions les plus sinistres furent dépassées. Quelques gardes nationaux, respectant la légalité et ayant pitié de la France, des hommes paisibles, redoutant les malheurs dont Paris allait être accablé, voulurent faire une suprême tentative de conciliation et arrêter l’effusion du sang qu’ils prévoyaient. Sans armes, précédés d’un drapeau tricolore, ils se dirigèrent, par la rue de la Paix, vers la place Vendôme, oblitérée d’une forte barricade, occupée par les 80e, 176e et 215e bataillons, armée de canons et commandée par un certain général Du Buisson. La manifestation était absolument pacifique, elle criait : « Vive la paix ! vive l’ordre ! vive l’assemblée ! » Elle fut accueillie par une fusillade à bout portant : treize morts et de nombreux blessés apprenaient à la partie saine de la population parisienne que tout espoir de modération était à