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prend la mesure du toit bas qui l’abrite et de l’hôte qui l’héberge. Il se fait fantaisiste ou solennel, lascif ou sévère, suivant le caractère du maître ; il ne prend pas sa volée pour planer sur tout un public. De là l’absence de toutes les industries relatives à l’embellissement des festins, de là vient encore que les arts décoratifs prennent le pas sur les beaux-arts proprement dits. Le besoin d’orner sa demeure, commun à tous les hommes, se traduit diversement suivant le nombre d’hôtes qu’on y reçoit. Un solitaire aimera mieux une draperie gaie, une peinture murale capricieuse qu’une statue, qu’il serait bientôt las d’admirer sans faire partager son admiration à personne. De son côté, l’artiste n’ayant à satisfaire qu’un homme et non une foule se gardera d’étudier et de rendre des sentimens généraux, de poursuivre dans son œuvre la réalisation d’un idéal commun à tous. Quand Phidias faisait ce Jupiter olympien, si beau que l’on considérait comme un malheur de mourir sans l’avoir contemplé, il savait qu’il allait traduire la pensée du monde hellénique et que toute la Grèce viendrait saluer sa statue. Mais qui viendra jamais saluer dans le yashki, où elle est enfermée, l’œuvre de l’artiste japonais? Aussi l’artiste tel que nous l’entendons n’existe-t-il pas au Japon. Ce n’est qu’un artisan, plus ou moins intelligent, mais de niveau social très inférieur, auquel nul talent ne permet de s’élever à une caste plus haute; il est assimilé aux marchands, qui forment la quatrième classe de la population. Il demeure un ouvrier comme son art demeure une besogne. Quelquefois, il est vrai, à l’ancienne cour de Kioto, des kugé, réduits par l’indigence à gagner leur vie, s’adonnaient à des carrières libérales; mais ils se faisaient surtout professeurs de musique, peintres d’éventails, maîtres d’armes ou même de cuisine; jamais il ne leur vint à l’idée qu’une argile grossière pût ennoblir les mains qui la touchent.

Telles sont les conditions dans lesquelles l’art a vécu et atteint sa maturité, toujours plus voisin du métier que du sacerdoce et plus enclin à s’étioler qu’à s’élargir. Faut-il s’étonner après cela d’y constater les caractères et les lacunes que nous avons signalés au cours de cette étude? Faibles dans la conception, inimitables dans l’exécution, maîtres en matière de goût, toutes les fois que la figure humaine est hors de cause, écoliers maladroits quand ils veulent la traiter, les artistes japonais ont moins visé au beau qu’au sublime, qui émeut plus aisément un public moins cultivé; ils l’ont parfois rencontré, mais le plus souvent ils sont tombés dans une emphase ridicule, et, voulant faire grand, n’ont réussi qu’à faire énorme; admirateurs passionnés de la nature, ils ne savent pas y « ajouter l’homme, » suivant la belle pensée de Bacon, ils ne savent que l’imiter avec un scrupule inintelligent ou la défier avec une