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tous les germes sont éclos, dont toute la sève est utilisée et prête à s’épuiser. Si l’on jette en effet un coup d’œil sur l’histoire de l’art, on voit dès le VIIIe siècle les premières leçons données par les Chinois, puis jusqu’au XIIe siècle une période de progrès lents, troublée par les guerres civiles, du XIIe au XIVe, avec l’établissement des shoguns à Kamakura, un moment d’éclat suivi d’une nouvelle éclipse jusqu’à la fondation du shogunat de Yeddo par Yéyas au début du XVIIe siècle. Depuis lui jusqu’à nos jours, une paix profonde règne au Japon et permet au génie national de s’épanouir à l’abri de tout contact étranger. C’est alors que l’art japonais devient lui-même, qu’il se sépare de l’imitation pure, conservant des maîtres chinois leurs procédés, leurs méthodes, leur science, mais pour les appliquer à des sujets nouveaux, traités dans un style propre, avec plus d’élégance et d’imagination. Il s’accomplit alors un mouvement comparable, toutes proportions gardées, à la naissance de l’art romain au contact de la Grèce. C’est l’âge le plus fécond et le plus brillant de l’histoire de l’art japonais.

Cette histoire est du reste difficile à faire d’une manière précise, faute de renseignemens, faute d’esprit critique chez les amateurs, mais surtout faute de collections publiques. Il n’en faut pas chercher dans une nation qui renie aussi violemment tout son passé, et d’ailleurs combien peut-on compter jusqu’ici de nations arrivées à cette période qu’on pourrait appeler l’âge de réflexion, où elles aiment à regarder dans leurs annales pour y suivre la trace de leur propre développement? Il faut à un peuple un haut degré de culture intellectuelle pour ne pas rougir de sa barbarie primitive. Les vieillards ne reviennent-ils pas plus volontiers que les jeunes hommes sur les scènes et les puérilités de leur adolescence? Toute renaissance est iconoclaste, et bien souvent le règne des collectionneurs est aussi celui de la décadence.

D’ailleurs le respect des souvenirs de cette nature est en raison de la place que tient l’art dans la vie, et nous avons déjà eu l’occasion de dire qu’il n’en tient ici aucune dans la vie publique, puisqu’elle n’existe pas, sauf dans les temples, et encore les fidèles n’y sont-ils, appelés que bien rarement à des cérémonies communes. La vie privée elle-même ne comporte guère, excepté à la cour, ces grandes réunions, ces fêtes entre égaux, qui provoquent les œuvres grandioses destinées à un Laurent ou à un Côme de Médicis; on ne se reçoit pas, on ne se donne ni bals ni réjouissances entre daïmios; on s’enferme au milieu de keraï, de serviteurs dévoués, et l’on ne songe qu’à satisfaire les caprices d’une fantaisie purement individuelle. L’art n’est pas proscrit de ces demeures silencieuses où règnent une volonté et un goût uniques, mais il s’y rétrécit; il y