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dans le creuset sur un fourneau en terre réfractaire activé par un vieux soufflet à manche. L’artisan, en costume de travail, se penche de temps à autre sur le fourneau, ajoutant tour à tour un peu de plomb, un peu de cuivre, un peu d’étain, — car il fait son alliage d’instinct et sans règle fixe, — tandis que l’un de ses fils manie le soufflet et que l’autre lui présente les outils dont il a besoin. On dirait un atelier d’alchimiste, et, pour compléter l’illusion, un entassement confus d’objets de toute sorte, d’outils, de creusets, de vieux débris, de moules brisés, de modèles préparés, et de temps à autre l’antique moitié d’Obata montrant sa tête de sorcière et s’agenouillant devant ses visiteurs pour leur présenter une tasse de thé.

Presque tous les bronzes sont faits à cire perdue. Il faut voir la cire pétrie dans les doigts devenir en un clin d’œil un dragon, la gueule béante, la queue tordue, puis s’achever peu à peu sous le couteau. Quand le modèle retourné, retouché, mis de côté, repris, corrigé, est enfin terminé, on l’enduit d’une couche de terre glaise très humide, puis on applique la terre plus consistante qui prend exactement l’empreinte. Alors ce travail de modelé, qui, après avoir été ébauché en un instant, n’a été achevé qu’au bout de plusieurs mois, qui ne peut être recommencé qu’avec des peines infinies, on le détruit en un clin d’œil. L’instant est solennel : on penche le bloc de terre glaise qui contient la précieuse cire au-dessus d’un brasier; peu à peu la cire fond et tombe goutte à goutte; plus rien ne reste qu’une empreinte vide que va remplir le métal. C’est toujours un moment d’émotion que celui où commence à frémir le bronze en fusion. Il faut si peu de chose pour faire manquer la coulée : un peu trop d’humidité ferait éclater le moule, trop de chaleur ferait adhérer le métal. Les moules remplis sont à mesure couverts de terre afin de hâter le refroidissement ; le vieux Tubalcaïn se repose un instant entouré de ses fils. Comment ne pas partager ses anxiétés? Si la cire n’avait pas fondu tout entière! s’il allait manquer une griffe au dragon ou une anse au vase ! si la glaise n’avait pas pris fidèlement l’empreinte! si le bronze s’était boursouflé!.. Mais non. Au bout de quelques minutes, le bronze est encore très chaud, mais solide; Obata peut démouler devant les curieux qu’il a convoqués; voici que le moule de terre tombe sous le marteau, et à sa place apparaît un vase. Le bloc sort noir, presque informe d’abord; mais quelques semaines encore de travail, et il sera débarrassé de ses scories, gratté, poli et devenu, après quelques retouches, définitivement immortel ; il rappellera, par le fini et la vérité de ses détails, ces descriptions, si chères à Homère et à Hésiode, de boucliers antiques dus sans doute à un art aussi grossier. Poétiques réminiscences qui viennent à chaque heure, en parcourant cette civilisation