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en délire et tombe dans le monstrueux ; il est rare que le Japonais ne rencontre pas quelque effet agréable ou ingénieux.

Le régal des yeux et, si j’ose le dire, la gastronomie optique, la science du décor, ses applications à la céramique, aux bronzes, aux meubles, au costume même, voilà donc le terrain sur lequel triomphe l’art ou, pour parler plus exactement, l’industrie du Japon, car nous sortons ici du domaine de l’artiste pour entrer dans celui de l’artisan.

Le principe de cette supériorité est la connaissance approfondie des lois de la couleur. Personne n’en possède la théorie et la pratique à un plus haut degré que les Chinois et les Japonais. Pourquoi ces dessinateurs maladroits sont-ils de si habiles coloristes? Pourquoi ces écoliers sans génie sont-ils en un seul point des maîtres? C’est que, pour dessiner, l’homme tire de son moi la beauté des formes et des proportions; il ne se contente pas d’imiter la nature, il la refait sur un patron idéal : c’est affaire d’imagination; la nature au contraire est le premier des coloristes; pour colorier, il suffit de l’aimer et de l’imiter, c’est affaire de procédé. Où pourrait-on d’ailleurs lui demander de meilleurs exemples? N’a-t-elle pas ici des tons plus vifs, plus énergiques que dans nos climats brumeux? En hiver, quand le soleil s’élève peu sur l’horizon et répand ses rayons obliques, si favorables au relief du paysage, l’air, balayé par les moussons, est d’une transparence et d’une pureté incomparables; une clarté tranquille et irisée baigne et caresse tous les objets, leur donne des valeurs plus intenses, une coloration plus chaude. Qui ne s’est senti ému, en parcourant ces contrées bénies du soleil, par l’éloquence muette du décor qui flamboyait sous ses yeux? Quoi de surprenant que, charmés par cette fête de la lumière, les Japonais aient essayé avec bonheur d’en fixer l’éclat dans leurs œuvres? Imitateurs patiens et fidèles de la nature, ils n’ont pas eu d’autre maître. C’est d’elle qu’ils ont appris à chercher l’harmonie optique, non dans les dégradations savantes, mais dans la juxtaposition des tons francs portés à leur plus haute puissance et s’exaltant réciproquement par le contraste; à faire vibrer et chatoyer la couleur par le rapprochement des diverses teintes, en un mot, à étaler hardiment les trésors de leur palette en vue de produire un spectacle joyeux et invraisemblable, une féerie absurde et resplendissante. C’est à cette école qu’ils ont pris l’audace de peindre sur un fond d’or mat des paysages, des oiseaux, semblables à autant de silhouettes entrevues dans l’atmosphère rutilante d’un coucher de soleil. Aussi combien ces décorations jurent à côté des froides couleurs étendues sur nos tissus, nos papiers! Et quel mauvais goût de les rapprocher, comme on le fait si souvent et chez