Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/322

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à mon hôte. — Il en rit encore. — Mais du moins essayez ! Vous voyez mes yeux, mon front, pourquoi ne pas les reproduire? — Et de se tordre plus fort. Peindre d’après nature est une idée qui ne leur vient pas.

On met entre les mains des commençans de petits manuels où les différens traits d’un dessin sont décomposés et indiqués par des carrés correspondant au modèle. L’étudiant divise son papier en autant de carrés, comme une carte géographique, et apprend à les remplir, dans l’ordre indiqué, d’un nez, d’un œil, d’une oreille... On apprend à dessiner des fleurs, des oiseaux, des paysages, des bonshommes, sans avoir jamais mis le nez à la fenêtre ni compté les lignes sur un visage humain. Tout ce qu’il sait, l’élève l’apprend sur des modèles, et il reste élève toute sa vie, — élève des Chinois. C’est eux qui ont imposé à la peinture non-seulement leurs procédés et leurs règles, mais la plupart du temps leurs sujets. Bien des kakémono du genre héroïque représentent des personnages et des scènes empruntés à l’histoire anecdotique de la Chine. Les Japonais s’attachent à un genre compassé qu’ils empruntent à leurs maîtres. Plus on est Chinois, plus on se rapproche de la perfection. Voilà pourquoi les anciens kakemono sont si estimés; ils remontent à l’introduction de l’art au Japon et sont dus souvent à des élèves directs des premiers maîtres. Jusqu’à nos jours, on ne s’est préoccupé, depuis cinq cents ans, que de leur ressembler et de les reproduire mathématiquement.

Ainsi, quel que soit le genre que l’on considère, la peinture, conventionnelle et machinale ou négligée et capricieuse, insouciante là de la vraisemblance, ici du dessin, ne cherchant ses effets que dans la couleur, ignorant la noblesse de la figure humaine, atteste à la fois un goût fin de la nature et une pauvreté d’imagination sans seconde, l’amour du fini, l’ignorance de l’idéal.

A la peinture se rattache naturellement la gravure; mais, quoique cet art ait été connu en Chine et au Japon avant d’être découvert par Finiguerra, il n’a jamais dépassé un niveau peu élevé. Il n’a produit que des estampes au trait, confuses, monotones, mal venues, qui servent d’illustrations aux romans, aux petits traités populaires, et des caricatures, quelquefois spirituelles par le sujet, rarement par l’exécution, qu’on vend pour quelques centimes après les avoir grossièrement passées en couleur. Comme exécution et comme goût, cela rappelle notre imagerie d’Épinal, mais n’en est pas moins religieusement acheté dans les magasins parisiens par de prétendus amateurs, victimes d’un engouement bizarre, et trop heureux de se passer à bon marché la fantaisie de quelque objet venu de ce prestigieux pays du soleil levant.