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de la souffrance, de la résignation, des diverses affections de l’âme. Elle brave naïvement la difformité physique, pour mieux produire son effet; c’est ainsi qu’elle nous offrira des fronts démesurément bombés, des crânes effilés ou semés de grosses bosses pour indiquer le développement de telle ou telle faculté, des oreilles ridiculement allongées en cornets pour nous rappeler sans doute les voix du ciel qui parlent au bienheureux. Issu d’une réaction anti-panthéiste, l’art bouddhiste, comme l’art chrétien du moyen âge, divinise l’esprit aux dépens de la matière. Il affecte avec une insistance puérile de ne voir dans le corps qu’une indigne enveloppe de l’âme et de faire des laideurs et des disgrâces de l’un un langage pour exprimer les agitations de l’autre. Il manque en un mot au premier devoir de la sculpture, qui est de faire beau, et se perd à la recherche d’un genre d’éloquence mystique interdit à l’ébauchoir. Que de fois, en visitant ces 500 génies rangés en ordre autour d’un autel central, il nous a semblé, brusquement transporté en France, au pied de quelqu’une de nos cathédrales gothiques, retrouver ces apôtres en prière, ces rois, ces saints et ces martyrs, dont les âmes se lamentent sous le portail de Reims, de Bourges ou d’Amiens ! Mais dans notre art gothique, le corps participe du moins tout entier au mouvement; il agit, s’élance, s’agenouille, tandis que les Go-hiaku-Rakkan sont immobiles, et que toute l’expression est systématiquement concentrée dans la physionomie dont la grimace exagérée contraste avec l’inertie du corps.

La polychromie vient ajouter un caractère de réalisme grossier à ces idoles. Sauf les grands Bouddha de pierre et de bronze, les statues sont généralement en bois doré et laqué. Les chairs, peintes en rose, avec une habileté peu commune, font d’autant plus horreur qu’elles font mieux illusion; on se croirait en présence d’un faux cadavre habillé. Le bariolage des œuvres plastiques est un reste de barbarie, qu’on s’explique d’ailleurs chez un peuple de coloristes de premier ordre. C’est encore à la sculpture sur bois et à la polychromie qu’il faut rattacher les têtes d’éléphans et de chimères qui ornent les saillies des poutres, ainsi que les bas-reliefs qui ornent les intérieurs des temples. Ce sont généralement des dragons rampans, des animaux fabuleux, accusant une grande adresse de main, mais une ignorance complète des lois de la perspective; c’est par l’épaisseur réelle que l’artiste nous fait sentir le relief, non par le jeu des ombres qui détachent le sujet du mur; ce n’est pas un dragon de profil qu’il montre à nos yeux, c’est une moitié, une section de dragon appliquée au panneau.

Avec l’art orthodoxe des bonzeries, nous laissons la grande statuaire. Sauf de bien rares exceptions, les sujets d’ordre laïque sont traités en petite dimension, et bien peu de statuettes s’élèvent au-dessus