Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aussi quel pénible contraste, lorsqu’à quelques pas de ces grandioses figures, on trouve les Tengu, ces dieux infernaux de la mythologie populaire, grimaçans, ventrus, trapus, difformes, qui gardent l’entrée des grands temples et reçoivent les hommages des fidèles. Un rictus hideux ouvre leur bouche jusqu’aux oreilles, leurs yeux s’écarquillent d’une manière féroce, leur face est boursouflée et tordue, leur posture n’est qu’une contorsion. Il ne se peut rien imaginer de plus grotesque et de plus répugnant que ces démons géans, sortes de croquemitaines de la statuaire, enlaidis encore par les tons violens de la polychromie et menaçant, pour l’éternité, la foule de leur vilaine grimace. Cette laideur voulue et cherchée détone bruyamment au milieu de la vie japonaise, si décente, si nette, si coquette, si délicate. Il fallait exprimer la méchanceté, la cruauté des gardiens qui défendent aux profanes l’entrée du lieu saint. Pour rendre des idées analogues sans déshonorer le corps humain, le génie grec avait trouvé Pan, les faunes, les satyres, toutes sortes de personnifications poétiques qui conservaient leur sens moral sans offrir à l’œil des difformités. Moins bien inspiré, le sculpteur japonais taille dans le bois ces grossières idoles, les affuble de vêtemens, d’armures, et les campe debout comme d’affreux épouvantails sous le portique du téra. Il faut ranger dans la même catégorie le Fudo-sama (dieu guerrier), qu’on voit à Narita et en maint endroit, le sabre au poing, entouré de flammes, brandissant une corde, dont il s’apprête à lier les voleurs. Comment concevoir que chez le même peuple, à la même époque, ces magots soient reproduits aussi fréquemment et avec autant d’amour que le paisible Daï-buts? N’est-on pas porté à croire que, dépourvu d’inspiration originale, et prenant ses modèles partout où il les trouvait, le Japon a imité et reproduit au hasard et sans choix tout ce qui lui venait de l’Inde et tout ce qui lui venait de la Chine?

En quittant le Daï-buts et ses deux étranges acolytes, nous n’en avons pas fini avec l’art religieux et le style hiératique; c’est ici en effet qu’il faut mentionner la tribu nombreuse des saints, des sages et des apôtres de la doctrine de Bouddha, dont on rencontre à chaque instant les statues en bois peint accouplées à celles du divin maître. Le temple des Go-hiaku-Rakkan à Yeddo contient, comme son nom l’indique, 500 de ces statues, semblables à celles que renferme à Canton la pagode des 500 dieux. C’est un musée où le touriste pressé peut se former rapidement une idée assez juste de l’art bouddhiste. Dans le but de glorifier ces saints hommes, presque tous célèbres par leurs pénitences et leurs macérations, la sculpture se fait ascétique; elle renonce au luxe des chairs, à l’exactitude du modelé, au rendu des contours, pour viser exclusivement à l’expression