Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faits de révolte ouverte, accomplis probablement sous l’inspiration du comité central, on pouvait comprendre que les officiers de la garde nationale ne reconnaissaient plus qu’un seul pouvoir : celui qu’ils avaient choisi eux-mêmes. Un jeune homme de vingt et un ans, nommé Lucien Henri, un peu modèle, un peu ouvrier fabricant de mannequins pour les artistes, un peu peintre, tout à fait réfractaire, grand orateur des clubs du quartier Montparnasse pendant le siège, fut élu, le 11 mars 1871, chef de la légion du XIVe arrondissement. Chargé de faire de la propagande révolutionnaire dans son quartier, il s’installa en permanence dans un poste qu’il établit chaussée du Maine, no 91. Là, entouré de ses officiers et de ses gardes, ne relevant que du comité central, il refusa de se soumettre à toute autorité constituée. Le commissaire de police, le maire, interviennent directement et vainement auprès de lui ; à toutes les observations qu’on lui adresse, il répond : « J’ai la force pour moi et j’en userai. » Il fait afficher des placards dans lesquels il demande, au nom du peuple, que la souveraineté de la garde nationale soit maintenue dans toute son intégrité. Un mandat d’arrestation est enfin lancé contre lui le 17 mars ; c’était bien tard. Lucien Henri ne s’en soucia guère, il fut quitte pour doubler ses gardes et ne sortir qu’entouré d’une escorte. Le lendemain, il préside à la construction des barricades, qu’il arme de canons, et fait incarcérer les commissaires de police de son arrondissement. Cet Henri fut « le général Henri. » Son premier acte d’ingérence dans la direction des affaires publiques est à noter ; le 30 mars, il a publié l’ordre que voici : Faire arrêter tous les trains se dirigeant vers Paris, Ouest-Ceinture ; mettre un homme énergique avec un poste. jour et nuit : cet homme devra avoir une poutre pour monter la garde, à l’arrivée de chaque train, il devra faire dérailler, s’il ne s’arrête pas. — La phrase est peu grammaticale, mais elle fut comprise, et l’on se conforma à l’ordre qu’elle contenait. Ce général, qui armait ses soldats de poutres, se laissa fort sottement faire prisonnier le 3 avril, après avoir placardé une proclamation où il disait qu’il allait repousser « les chouans de Trochu. »

Le fait d’un chef de corps élu, volontairement réfractaire et n’obéissant qu’aux ordres d’un pouvoir occulte, ne fut point isolé, et l’on pourrait facilement citer un grand nombre d’actes semblables qui se sont produits sur tous les points de Paris depuis la formation du comité central. C’était un signe que bien du temps déjà avait été perdu, qu’il n’en fallait plus perdre et que l’heure était venue d’entrer en négociations ou en lutte contre un parti révolté qui se fortifiait de jour en jour. En effet, sans compter diverses places d’armes établies et sévèrement gardées dans Paris, les quartiers élevés de Belleville et la butte Montmartre, fournis de canons et