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toute leur majesté, il n’y a pas de jardin public; mais en revanche il n’est si misérable bicoque qui n’ait son petit jardin, son matsu soigneusement taillé et épluché, son petit bassin d’eau claire où nagent quelques poissons rouges, son regard pour l’écoulement souterrain des eaux. Les palais des daïmios, les résidences des riches marchands comme le fameux Dai Roku, quelques tchaya ou maisons de thé dans les environs des villes, sont entourés de parcs disposés avec un goût exquis. Il n’y faut chercher ni les grandes lignes droites, ni les vastes percées d’un Lenôtre; les Japonais n’en ont jamais compris la majesté sévère et le calme solennel. Ils se soucient peu de cette régularité hospitalière qui permet au visiteur nouveau venu de s’orienter et de reconnaître facilement son chemin. Le jardin est un lieu de récréation pour le propriétaire, qui vient s’y reposer seul ou s’y distraire avec ses femmes. C’est un boudoir de verdure et de fleurs, peu engageant pour l’étranger qui sans cesse y a besoin d’un guide. On y rencontre, comme dans le jardin anglais, une série d’accidens imitant en petit la nature, entassés suivant la fantaisie du maître, mais tout est taillé, émondé, châtié avec un soin qui révèle partout la présence d’un jardinier vigilant. Ici, c’est un petit lac que traverse un pont rustique et sur lequel un berceau de bambou soutient une glycine aux grappes pendantes, quelques cygnes s’y promènent gravement ; là, c’est un tertre où l’on arrive par une petite rampe tournante ; un toro marque le coin d’une allée étroite et sinueuse. Un petit édicule se cache dans les sapins, gardé par deux renards de pierre; un kiosque s’ouvre sur une pièce d’eau : c’est là qu’on fera apporter une collation et qu’on passera les heures paresseuses d’un beau jour de printemps à regarder danser les guêsha au son du samissen. Des dalles irrégulières, posées dans tous les sentiers, permettent de les parcourir même en temps de pluie sans se mouiller les pieds. Sur une pelouse fraîche et rasée, un épicéa, un camellia, un érable aux tons fauves, un de ces cryptomerias dont le Japon est si riche, quelque arbre d’une essence recherchée et d’une belle venue se dresse à l’écart; un peu plus loin, des bosquets de pruniers ou de cerisiers promettent à leur heureux possesseur la vue éphémère d’une floraison ravissante au mois d’avril. L’aspect de ces fleurs est si cher aux Japonais, qu’à cette époque de l’année le peuple se porte en foule, pour les admirer, vers certains jardins des environs où sont plantés, pour le plaisir des yeux, des parterres entiers de ces arbres, qui ne produisent pas de fruits sous le ciel pluvieux de Yeddo. L’horticulteur se garde bien ici, on le pressent déjà, de grouper, comme nous, ses fleurs en figures géométriques; il les distribue d’une main discrète par petites masses séparées, ou bien les jette à profusion pour produire quelque puissant effet. Dans